Les divorces créent l’Europe de la défiance (Le Monde)

Trois parlementaires issus de trois assemblées et de formations politiques différentes s’associent pour défendre des valeurs universelles et dénoncer des faits précis. Qu’il soit porté par des parlementaires français ou italiens, le message reste le même et c’est encourageant.


Article paru le 23/01/2014 dans Le Monde

Les divorces créent l’Europe de la défiance

L’Europe doit se saisir de la question du divorce, trop peu d’harmonisation existe entre pays membre et des situations kafkaïennes naissent de ce vide, expliquent trois parlementaires.

En Europe, 13 % des couples sont binationaux. La libre circulation favorise les rencontres, à commencer par le programme Erasmus, si bien conté dans les films « L’auberge espagnole » et « Les poupées russes ». Mais si l’amour est européen, la rupture ou le divorce, eux, le sont beaucoup moins.

À moins de l’avoir vécu, personne ne peut en effet s’imaginer vers quels drames peuvent mener un divorce transnational. Personne ne peut imaginer qu’en ce début de XXIe siècle, à cause d’un divorce, vous puissiez ne plus voir vos enfants, être jeté en prison, être ruiné, être abandonné.

Il faut d’abord surmonter l’obstacle du conflit de juridiction. L’on voudrait imaginer que les justices entre États membres se mettent d’accord et se basent sur la référence du dernier lieu de résidence ou la nationalité des personnes. Dans les faits, les États défendent le plus souvent leurs ressortissants et l’on assiste à une course où le premier qui saisit le juge de son pays aura gagné!

HEURTER LES LÉGISLATIONS FAMILIALES NATIONALES

Cependant grâce au règlement européen de Rome III, entré en vigueur dans certains États membres de l’Union, il est désormais possible au moment du mariage de choisir la juridiction de son divorce, évitant ainsi ces insupportables années de procédures. Encore faut-il être informé de son existence et des enjeux du divorce transfrontière…

Une fois la compétence d’un tribunal national établie, encore faut-il pouvoir imposer les décisions de justice susceptibles d’heurter les législations familiales nationales. Personne ne peut imaginer que le Danemark ne reconnaisse pas les décisions en matière de responsabilité parentale et cautionne ainsi de facto l’enlèvement par l’un de ses ressortissants de ses enfants élevés dans un autre pays.

Personne ne peut imaginer que la législation allemande permette, de facto là aussi, de légaliser l’enlèvement de son enfant, en accusant son ex-conjoint d’avoir caressé « l’intention » de l’enlever. C’est au parent ainsi accusé qu’il revient de prouver qu’il n’a pas souhaité enlever son enfant.

DES PROCÉDURES SANS FIN

Cela représente des mois voire des années de procédures kafkaïennes durant lesquelles l’on n’autorise pas ce parent à revoir ses enfants par crainte d’enlèvement. Peu de parents réussissent à aller au bout de ces procédures sans fin, extrêmement coûteuses, pour lesquelles ils sont souvent privés d’aide juridictionnelle.

Personne ne peut imaginer qu’après avoir réussi à prouver son innocence, le parent ayant récupéré le droit de visite ou de garde, se heurtera dans la pratique à l’hostilité de l’influent Jugendamt (office allemand de protection de la jeunesse), qui peut se permettre sans grand mal de ne pas appliquer les décisions de justice.

Où est l’Europe dans tout cela? Nulle part, puisqu’il s’agit de questions administratives et judiciaires entre États, échappant à sa compétence. L’Europe est à ce point impuissante que l’on peut être poursuivi par un mandat d’arrêt européen pour une question de pension alimentaire et jeté en prison. Le mandat d’arrêt européen, créé pour lutter contre la grande criminalité, s’en est trouvé dévoyé.

RESSUSCITER LA COMMISSION PARLEMENTAIRE

Ces situations se comptent par centaines dans les documents reçus par la Commission des pétitions du parlement européen. Nous sommes trop souvent interpellés par des parents brisés, minés par le désespoir, l’injustice, l’attente et la ruine. Nous n’avons de cesse d’attirer l’attention de toutes les autorités, européennes comme nationales. En vain. « Circulez, il n’y a rien à voir » n’est plus une réponse acceptable. Ce sont des vies d’enfants et de parents bousillées parce qu’il n’y a jamais de responsable.

À quand une définition européenne de l’intérêt supérieur de l’enfant ? Pourquoi, entre Allemands et Français, ne pas ressusciter la commission parlementaire de médiation qui avait été mise en place par les gouvernements Schröder et Jospin entre 1999 et 2002 et qui avait obtenu des résultats appréciables ?

Pourquoi ne pas, à quelques États volontaires, rapprocher nos droits du divorce et de l’autorité parentale ? Pourquoi ne pas organiser chaque année des assises européennes des professionnels de la famille, où administrations, travailleurs sociaux, juges et avocats partageraient enfin leurs expériences ?

Il n’est pas fréquent pour trois parlementaires issus de trois assemblées et de formations politiques différentes, de s’associer dans une tribune. Nous le faisons pour défendre des valeurs universelles et dénoncer des faits précis. Nous n’entendons donner aucune leçon.

Chaque pays doit faire des progrès, y compris le nôtre et la citoyenneté européenne ne pourra progresser qu’à ce prix. Mais chaque relation parent-enfant compte. Humanisons les procédures et évacuons le sentiment d’abandon des parents et des enfants, otages aux mains de l’injustice, celle parfois, de leur propre pays.

Philippe Boulland (député UMP-PPE au Parlement européen)
Joëlle Garriaud-Maylam (sénatrice UMP des Français de l’étranger)
Pierre-Yves Le Borgn’ (député PS des Français de l’étranger)