Couples binationaux : « La plupart des cas d’enfants dits volés sont franco-allemands »

Article paru le 22/07/2018 dans Le Parisien

Dans une tribune au Parisien – Aujourd’hui en France, trois parlementaires européens se mobilisent pour un meilleur traitement des affaires familiales.

Entre 2007 et 2018, le Parlement européen a reçu plus de 300 pétitions dénonçant les pratiques des tribunaux et du Jugendamt, l’Office allemand de la jeunesse. LP/Olivier Corsan

Emmanuel Maurel (PS), Virginie Rozière (RG) et Edouard Martin (PS), parlementaires européens

Des centaines de nos compatriotes ont perdu la garde de leur enfant né d’une union franco-allemande, pour la seule raison qu’ils ne sont pas allemands. Les juridictions allemandes ont tendance à donner gain de cause à l’Allemand(e) qui dispute la garde de l’enfant à un(e) Français(e). Dans le cas d’un conflit transfrontalier, le verdict est le même : peu importe son lieu habituel de résidence, l’enfant issu d’un couple binational doit rester (ou retourner) sur le sol allemand, afin de protéger son « son intérêt supérieur ».

C’est le Jugendamt, l’Office allemand de la jeunesse, qui veille à l’intangibilité de cette règle. Se voulant « l’avocat des enfants », le Jugendamt, 35 Mds€ de budget, a pour mission de verser les allocations familiales et d’intervenir dans les cas de séparations judiciaires avec enfant(s). Son organisation est très décentralisée et en même temps c’est une véritable institution, un Etat dans l’Etat, qu’on appelle aussi « le troisième parent ». Il conseille les tribunaux, qui suivent ses avis, nourris par la certitude que l’Allemagne est le meilleur endroit au monde pour élever des enfants.

C’est ainsi que des parents français sont jugés inaptes à éduquer leurs enfants. C’est ainsi que des pères et des mères français perdent tout droit sur eux et s’en retrouvent définitivement séparés alors même que des jugements de tribunaux français revendiqueraient l’inverse. Ennuyeux au moment où l’on pense la création d’un procureur européen et où les juges nationaux doivent se faire mutuellement confiance. La plupart des cas d’enfants dits « volés » sont franco-allemands, mais ils sont aussi polonais, suédois, italiens… Des milliers de parents européens sont victimes de cette discrimination.

Entre 2007 et 2018, le Parlement européen a reçu plus de 300 pétitions dénonçant ces pratiques, néanmoins le droit familial ne relevant pas des compétences de l’UE, la Commission refuse toute « ingérence » dans les affaires nationales. Un règlement de 2003 existe pourtant, sur les différends transfrontaliers en matière matrimoniale et de responsabilité parentale, mais il précise que cette dernière est déterminée par la loi du pays de résidence de l’enfant. Ce faisant, la législation européenne détourne le regard de la pratique concrète des tribunaux et du Jugendamt lui-même.

Au-delà du débat « compétences nationales versus compétences communautaires », comment peut-on accepter une vision aussi unilatérale de l’intérêt supérieur de l’enfant ? Les couples binationaux sont nombreux — près de 14 % des mariages français sont mixtes et parmi eux les couples binationaux européens sont en augmentation constante. C’est l’un des heureux résultats de la libre circulation des personnes. En abolissant les frontières, l’Union européenne permet d’aimer. Mais si l’amour est permis, les séparations qui en résultent ne sont, elles, pas assez encadrées. À cause du Jugendamt et de l’inaction européenne, des centaines de couples se séparent ainsi dans l’injustice — et dans la ruine : non seulement la procédure administrativo-judiciaire allemande est infiniment plus complexe que la nôtre, mais elle est aussi exclusivement formulée en allemand et surtout… très onéreuse. Les frais d’enregistrement et d’avocats peuvent très vite dépasser plusieurs dizaines de milliers d’euros. Bafouant en toute impunité deux principes fondamentaux de l’Union — la non-discrimination à raison de la nationalité et la libre circulation des personnes, l’Allemagne, expose des citoyens européens à la plus cruelle des injustices : être définitivement séparés d’un enfant.

L’Europe doit favoriser une coordination minimale entre les différents droits nationaux de la famille, ne serait-ce que pour éviter des situations aussi kafkaïennes que celles créées par le Jugendamt, et s’intéresser davantage aux enfants issus de couples binationaux européens. Or c’est à l’Europe d’agir, en faisant respecter ses principes et en créant les conditions, concernant les affaires familiales, d’un véritable droit au procès équitable en Allemagne et partout en Europe. Représentants des citoyens, nous, parlementaires européens, refusons d’être complices d’une telle situation.

Le combat de Rouennais pour faire revenir leurs enfants restés en Allemagne avec leur autre parent

Article de Christophe Hubard, paru le 15/06/2018 dans le journal Paris Normandie

Conférence de presse du 29 mai 2018 au Parlement européen à Strasbourg

Combat. Tandis que l’association rouennaise Enfants otages continue d’aider les parents ayant perdu la garde de leur enfant, des eurodéputés tentent de faire du bruit médiatiquement.

Rencontrée il y a un an (lire notre édition du 3 juillet 2017), l’association rouennaise Enfants otages poursuit son action en faveur des parents ayant perdu la garde de leur enfant au profit de l’ex-conjoint allemand. L’accumulation des cas favorisant le parent allemand pousse des députés européens à s’emparer du sujet. Interview de Virginie Rozière (Les Radicaux de gauche), eurodéputée à l’initiative d’une conférence de presse tenue le 29 mai au Parlement européen.

Qu’est-ce qui vous a décidé à organiser cette conférence ?

« Nous avons eu une nouvelle pétition [déposée auprès du Parlement européen au sein de la Commission des pétitions, NDLR] d’une mère de famille française. Elle s’est rendue en Allemagne pensant assister à une conciliation autour de la garde de son enfant. À ce moment-là, elle avait encore l’autorité parentale exclusive. En sortant du tribunal, elle est repartie sans son enfant, le juge ayant décidé d’accorder la garde à son ex-conjoint, allant à l’encontre de la décision de justice française. »

De combien de cas parlons-nous ici ?

« Plus de 300 pétitions ont été enregistrées à ce jour par la Commission des pétitions [en 2012, on en dénombrait une centaine, mais le problème est bien antérieur, NDLR]. Et encore, il faut connaître son existence. Je viens de rencontrer une dame dans une situation similaire. Elle a entendu parler de la conférence de presse et se demandait si cela valait le coup de déposer une pétition. À mon avis, on est sur plusieurs milliers de cas. »

Qu’est-il reproché ici à l’Allemagne ?

« La violation du droit européen par le Jugendamt* (en français, « l’administration de la jeunesse », accusée de veiller aux intérêts de l’Allemagne). Nous avons des cas écrits noir sur blanc où l’on nous explique que l’enfant scolarisé en France serait mieux en Allemagne, qu’il y recevrait une meilleure éducation. La juridiction allemande ne tient pas compte des décisions prises dans le pays de résidence de l’enfant. »

« Plusieurs milliers de cas »

N’est-ce pas le travail de la Commission européenne de faire respecter la hiérarchie du droit et notamment le règlement Bruxelles II bis censé régler ces questions ?

« En effet. Nous voulons qu’elle ouvre une infraction à l’endroit de l’Allemagne pour discrimination sur la base de la nationalité. C’est une entorse aux principes fondamentaux de la construction européenne. Mais l’un de ses représentants nous a déjà répondu qu’elle n’est pas compétente. C’est faux. Si c’était seulement quelques cas, il ne lui appartiendrait pas de se substituer au juge. Mais vu l’accumulation, elle devrait demander au Jugendamt des statistiques des cas de binationaux pour voir dans quel sens va la préférence. »

Que faire ?

« Nous allons essayer de produire, pour cet automne, une résolution au Parlement adressée à la Commission et au Conseil de l’Union européenne, afin d’investiger et d’agir pour prendre la mesure. »

Quelles sont vos chances de réussite ?

« Il faut une majorité simple au Parlement. Cela nécessitera beaucoup de travail de diplomatie, tout en veillant à ne pas tomber dans l’anti-germanisme primaire. Évidemment, nos collègues allemands quelle que soit leur appartenance politique ferrailleront contre. Si on y arrive, ce sera une première sur le sujet. »

Ces questions ne sont pas récentes. Pourquoi en est-on encore là aujourd’hui ?

« Je ne me l’explique pas. Si ce n’est pour des raisons diplomatiques… Mais qu’est-ce qui peut justifier de sacrifier des centaines d’enfants ? Je ne comprends pas l’inaction de la Chancellerie française dont le devoir est de soutenir les Français opposés à une juridiction étrangère. Il en relève de la souveraineté française. »

* Présent à la conférence de presse, un ancien fonctionnaire du Jugendamt a invité les parents non-allemands à ne pas se rendre naïvement aux convocations des tribunaux allemands. « Une fois que les enfants sont partis il est difficile de les reprendre », résume Karine Bachelier, fondatrice d’Enfants otages.

Batailles juridiques et éloignement

Il y a un an, Karine Bachelier se battait pour ne pas perdre ses derniers droits sur sa fille restée en Allemagne. Son ex souhaite qu’elle prenne le nom de sa compagne allemande.

« L’audience a été annulée, raconte la Rouennaise, mère d’Amélie (14 ans) et de Patrick (11 ans), à l’origine de l’association Enfants otages. J’ai fait un tel foin après avoir déposé une nouvelle pétition… L’affaire a été classée car j’ai démontré que la requête n’était pas recevable, l’enfant étant mineur. On m’a présenté une lettre soi-disant écrite par ma fille demandant à changer de nom. Ma fille m’a assignée elle-même, alors qu’elle est mineure ! Je l’ai rappelé pendant toute l’audience au juge mais ils bafouent même leur code de procédure. »

Séparée de sa fille depuis 2011, Karine Bachelier ne l’a toujours pas revue depuis janvier 2016 (le temps d’une journée). « Ils cherchent toujours à m’effacer administrativement. C’est la prochaine étape. »

Alain Joly, cofondateur de l’association, vit un calvaire depuis 2009, quand son amie allemande quitte le domicile avec leur fille de 3 ans. Elle en a aujourd’hui 12 et son père est autorisé à la voir toutes les trois semaines pendant deux jours de 10 h à 18 h. « Elle n’a toujours pas le droit de rester dormir. C’est une ado, je rate plein de choses… » Jusque-là proche de son père, la jeune fille vit actuellement « un conflit de loyauté » entre ses deux parents. Pendant ce temps-là, depuis mars, la pension vient de faire un bon passant de 281 € à 370 €…

En direct de l’Europe. Garde d’enfants dans les divorces binationaux : le Parlement européen se mobilise

Emission « En direct de l’Europe », présentée par Anja Vogel, diffusée le 10/06/2018 sur Franceinfo

En matière de garde d’enfants dans les divorces binationaux, les services de la jeunesse allemande sont particulièrement montrés du doigt, accusés de discrimination par la commission des pétitions du Parlement européen.

Face à une justice allemande, qui sous l’influence du Jugendamt (les services administratifs de la jeunesse) tranche quasi systématiquement en faveur du parent allemand, dans le but de maintenir l’enfant sur son territoire, la commission des pétitions du Parlement européen appelle les Etats membres et la Commission à prendre leur responsabilité.

Un drame récurrent dans les divorces de couples binationaux

C’est le drame récurrent des enfants dont les parents se déchirent la garde, par tribunaux interposés. « Enfants volés », « enfants otages », enfants enlevés, ils sont victimes de situations parfois kafkaïennes, d’autant plus douloureuses lorsque l’un des parents est totalement déchu de ses droits.

Or c’est l’une des particularités de la justice familiale allemande, régie par le puissant Jugendamt (littéralement « office de la jeunesse », surnommé « troisième parent », il englobe toute l’administration publique chargée de l’aide sociale, de la protection de la jeunesse et de l’assistance aux familles). Sous son influence, les tribunaux allemands tranchent presque systématiquement en faveur du parent allemand et du maintien de l’enfant sur son sol, une préférence nationale justifiée outre-Rhin par « l’intérêt supérieur de l’enfant ».

Depuis plus de 20 ans, des parents non allemands, victimes de cette discrimination

Des parents broyés depuis plus de deux décennies par les difficultés procédurales d’une machine judiciaire extrêmement dure, se réunissent en associations. Le CEED, Conseil européen des enfants du divorce, a beaucoup oeuvré et a déclenché une véritable prise de conscience dans les institutions européennes, avant que son fondateur, Olivier Karrer, ne soit emprisonné en Italie, à la demande de la justice allemande, pour avoir voulu aider Marinella Colombo, une linguiste italienne mariée à un Allemand, à récupérer ses enfants.

Aujourd’hui l’Association Enfants Otages poursuit le combat et continue d’alerter la commission des pétitions du Parlement européen, qui a mis en place un groupe de travail permanent sur le Jugendamt dès 2006. Grâce au règlement dit « Bruxelles II bis », l’Union européenne a clarifié la législation, en précisant quelles sont les juridictions compétentes. Mais avec l’Allemagne, le problème reste entier : de France, d’Italie, de Pologne, les pétitions continuent d’affluer, plus de 300 ces 11 dernières années.

« Une contradiction avec le droit européen »

Une nouvelle audition vient de se tenir au Parlement européen à Strasbourg, à l’initiative de l’eurodéputée Virginie Rozière, coordinatrice du groupe socialiste et démocrate pour la commission des pétitions. Face à ce qu’elle considère comme une « contradiction avec le droit européen » et une « discrimination de la part des tribunaux allemands », elle appelle la Commission européenne à sanctionner. Et les Etats membres à sortir de leur réserve.

Virginie Rozière prépare une résolution pour soutenir les parents privés de leurs enfants, comme la Mosellane Séverine Breit, qui s’est rendue à ce qu’elle pensait être une audience de conciliation, et s’y est vu retirer son fils de 6 ans qu’elle tente aujourd’hui de récupérer. Ou comme Paule-Andrée Boillat, qui après avoir passé 20 ans en Allemagne, où elle enseignait au lycée français de Francfort, vit aujourd’hui dans le Var, sous le coup d’un mandat d’arrêt européen pour enlèvement d’enfants, parce que ses filles ont fugué pour la rejoindre. Broyée par la machine judiciaire, jusqu’à se faire interpeller au domicile de ses parents, à Sanary, sous les yeux de ses enfants.

Des procédures et interpellations disproportionnées

Heureusement la procédure a pu être annulée côté français, grâce à son nouvel avocat, Me Gregory Thuan dit Dieudonné, par la chambre d’instruction de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, au motif que son « arrestation et la remise aux autorités allemandes seraient manifestement disproportionnées et qu’il y aurait une violation de son droit au respect de sa vie familiale ».

Reste l’essentiel pour cette maman, comme pour les centaines d’autres parents discriminés : pouvoir revoir leurs enfants. Cela ne sera possible qu’en remettant en cause le coeur du problème : il est structurel, explique Me Gregory Thuan dit Dieudonné, qui pointe « cette relation un peu incestueuse entre les services sociaux et le juge aux Affaires familiales allemand ».


Merci à Corinne Fugler (France Bleue Alsace) et à Anja Fogel (France Info) d’avoir couvert la conférence de presse du 29 mai 2018.

Conférence de presse sur le Jugendamt et le système familial allemand

Comme annoncé, le 29 mai dernier, nous étions au Parlement européen à Strasbourg, pour participer à la conférence de presse organisée par le trio d’eurodéputés Virginie Rozière, Eleonora Evi et Edouard Martin.

Si Eleonora Evi et Edouard Martin sont maintenant à nos côtés depuis plusieurs années pour dénoncer le système allemand et l’hypocrisie des pays membres (dont la France) de l’UE, Virginie Rozière a rejoint le duo en janvier 2017, date de son entrée à la Commission des pétitions. Un mois après son arrivée, elle défendait Séverine Breit, cette jeune maman dont l’enfant a été littéralement volé par le juge allemand.

A signaler également la présence non négligeable de Zdzisław Krasnodębski (Pologne), vice-président du Parlement.

Cette conférence avait notamment pour but de mobiliser la presse et d’obtenir une couverture médiatique la plus large possible. Ce fut un succès et ce n’est pas fini, même si une fois encore, on ne peut que regretter de ne pas avoir pu bénéficier d’une couverture nationale.

Elle a également été pour nous l’occasion de nous rencontrer, nous les parents victimes, puisque nous ne communiquions jusqu’à cette date, que par téléphone ou Skype.

Nous avons également réalisé l’interview d’une dizaine de parents que nous publierons après montage.

Un grand merci à nos eurodéputés et à leurs assistants, Mathieu Laurent (Virginie Rozière), Maxime Herrmann (Edouard Martin) et Chiara Giuli (Eleonora Evi), mais également à Yacine El Laoui Mohamed, Nicolaida Khier-Koskina (Commission des pétitions) et à Carlo Diana (Fonctionnaire PE) pour leur gentillesse et leur disponibilité.