Enquête : comment l’Allemagne a pris nos enfants

Article du Dr. Marinella Colombo paru en Italie dans Millennium, octobre 2020.

Sous le 3ème Reich, sous l’Allemagne nazie, le chef des SS Heinrich Himmler restructure le système qui s’occupe des mineurs et en fait une administration pour les jeunes : le Jugendamt, une entité politique pour le contrôle de la famille qui encore aujourd’hui exerce ses pleins pouvoirs sur les mineurs. Le rôle de cette entité qui s’autodéfinit sous le nom de Bureau d’Etat de Surveillance est celui de contrôler l’obligation des parents à éduquer les enfants. Mais à la différence de l’Italie, où les assistants sociaux, avec leurs relations, peuvent influencer la décision du juge, en Allemagne le Jugendamt est en partie prenante dans les procédures : il a le pouvoir de donner son avis au juge et peut faire appel des décisions émises par le tribunal pour les mineurs. Une autre différence pas moins significative est que les assistants sociaux italiens ne sont pas toujours impliqués dans les procédures de séparation, par exemple dans les consensuels, le Jugendamt, en revanche, intervient d’office et est donc toujours présent.

Ces pouvoirs créent des problèmes aux parents qui vivent en Allemagne qu’ils soient allemands, étrangers ou couples mixtes. A la Commission des Pétition du Parlement européen, arrivent des centaines de plaintes ou signalisations de pères et de mère qui se sont vus retirer la garde des enfants sans possibilité de se défendre de manière loyale.

Richard Moritz, dans son livre « La honte allemande », dénonce : « Il y a un vrai business qui produit un chiffre d’affaires de plus de 400 milliards d’euros par an provenant directement de l’Etat et plus de cent milliards d’euros induits. Un enfant enlevé de sa famille et placé dans un foyer, quand il en sort à 18 ans, aura créé une facture de quasi un million d’euro. »

Le parlement européen submergé par les demandes d’aide des parents qui ont eu affaire à ces institutions a ouvert plusieurs groupes de travail pour chercher à régler ce problème. Le 29 novembre 2018 ils ont émis la résolution 2856 ou l’on peut lire : le parlement retient avec une grande préoccupation que les problèmes qui concernent le système du droit de famille allemand ainsi que le rôle controversé du Jugendamt reste jusqu’à présent non résolu et souligne que la Commission des Pétitions reçoit continuellement des pétitions de parents non allemands où sont signalées de graves discriminations”. Parce que dans les familles ou l’un des parents est étranger, on peut encore lire “ la protection de l’intérêt supérieur du mineur est systématiquement interprété par les autorités allemandes compétentes avec la nécessité de garantir que les mineurs restent sur le territoire allemand.

Accusés en Europe

Le Jugendamt avait déjà précédemment fourni son point de vue au Parlement européen le 10 novembre 2016. Durant cet événement, Reiner Hoffman du Jugendamt de Berlin a parlé devant certains parents et enfants ainsi : “Clairement je me trouve dans une situation difficile car nous avons reçu beaucoup de critiques et de reproches “. puis il a ajouté : “ Nous donnons notre aide aux mineurs enfants et parents. Le Jugendamt s’occupe de tuteler l’intérêt des mineurs sans entrer dans le cadre de l’éducation mais seulement dans la sauvegarde de leur sécurité ». Sont passées des années depuis ces paroles mais on dirait que rien n’a changé. Nous avons appelé souvent le Jugendamt pour avoir des clarifications, nos questions étaient simples : Votre position de 2016 a-t-elle évolué aujourd’hui ? Que s’est-il passé suite aux critiques et aux accusations de 2018 ? Il semblerait cependant que personne n’ait envie d’en parler : entre un « Nous ne parlons pas anglais » et un « Nous n’avons pas l’autorisation de vous donner ces informations », il ne nous reste plus qu’à croiser les doigts pour tous ces parents qui encore aujourd’hui, espèrent recevoir une décision juste et équitable pour retrouver leurs enfants.

Le 3eme parent

Il est important de souligner qu’au tribunal outre le père et la mère, il y a aussi le Jugendamt qui, en tant que partie prenante, a le rôle de 3ème parent. Son rôle est de garantir le Kindeswohl qui veut dire le bien-être de l’enfant, comme inscrit dans la loi, les traités et conventions internationales.

Comme explique Marinella Colombo qui a vécu ce mécanisme et qui nous raconte dans ses livres “Je ne vous laisserai pas seuls » et « La tutelle au-delà de la frontière”, comme il s’agit d’un concept juridique pas bien défini, dans le cas d’un couple mixte, ce bien coïncide souvent avec la garde du mineur au parent allemand ou à qui garantit la permanence sur le territoire allemand et assure une éducation teutonique. Il est important de tenir compte que le Jugendamt procède sur une base de principes fondamentaux : les enfants sont un patrimoine de la communauté et de l’Etat. Et ce principe semble passer devant toute autre considération. Dans la résolution numéro 2018/2856, le Parlement européen met en garde les institutions allemandes car ” l’enfant reste en Allemagne même dans les cas ou ont été signalées des violences conjugales, contre les parents non allemands”. On parle de parents violents, alcooliques et peut être qui ne montrent aucun intérêt pour le mineur.

Exactement ce qui est arrivé à Alessio, fils d’un père allemand et d’une mère italienne. La maman, victime de maltraitance, en plus des preuves de ses séjours à l’hôpital avec constats de contusions du crâne, fractures nasales, égratignures des mains, s’est vue arracher son enfant âgé

de quelques mois en faveur du père violent. Même le père a déclaré avoir été agressé mais sans pouvoir produire des preuves. Enlever un enfant à une maman durant les premiers mois de sa vie viole entre autre « le droit à l’allaitement » amplement garanti par la Convention ONU sur les droits de l’enfance et de l’adolescence.

La procédure sur le droit de garde a duré plus de 2 ans, pendant lequel Alessio a vécu avec le père allemand et, confirmant la tendance de vouloir faire rester les enfants en Allemagne, la psychologue qui avait la tâche d’évaluer ce cas écrivait « Il faut s’attendre à ce que la maman déménage en Italie avec Alessio si on lui confie la garde. On arracherait l’enfant de son environnement social et on rendrait quasi impossible le contact avec le père, son actuel et principal caregiver ». En réalité, la maman demandait la garde partagée et donc elle n’aurait pas pu s’en aller. D’après la psychologue, il n’y a qu’une chose à faire : “ De mon point de vue d’experte, il faut établir que continuer à vivre dans le futur avec le papa correspond au bien de l’enfant. Alessio a démontré dans de brefs moments un comportement typique d’attachement envers le père. Cela n’a pas été observé lors des interactions avec la maman. »

L’obligation du rapatriement

Ce qui nous choque de cette relation est que la psychologue en tant qu’experte ne semble tenir absolument aucun compte qu’Alessio n’a pas vu sa mère pendant 2 ans et donc cela pourrait sembler normal qu’il ne démontre aucun attachement envers elle. Mais le tribunal, qui suit les mêmes principes du Jugendamt a utilisé cette affirmation pour conférer définitivement la garde au père qui, même étant un maltraitant, garantissait sa permanence en Allemagne et une éducation allemande. Au jour d’aujourd’hui le père a les pleins pouvoirs de décider avec qui et où passe le temps son enfant et peut donc aussi choisir – comme il l’a bien fait – d’empêcher la mère de passer quelques jours de vacances avec lui.

Mais des histoires comme celle-ci malheureusement il y en a beaucoup. Comme celle de la déjà citée Marinella Colombo. Voici ce qu’elle nous raconte : « Mes 2 enfants ont été maltraités en Allemagne sur la base d’une traduction falsifiée sans jamais être écoutés, sans jamais tenir en compte leur volonté de rester en Italie”. Elle-même est passée de victime à coupable, condamnée et emprisonnée. Cette affaire va être bientôt accessible à un large public grâce à la sortie d’un film tiré de son premier livre.

Il existe un mécanisme qui se répète dans beaucoup d’histoires que nous avons entendues et lues : quand un parent non-allemand emmène les enfants dans son pays, dans certains cas même seulement pour les vacances, en 24-48 heures, il se peut qu’un mandat d’arrêt soit émis contre lui avec un décret de rapatriement du mineur. Ainsi sans preuve, simplement tout en affirmant que l’enfant pourrait être en danger, on confère au parent allemand le droit exclusif de déterminer la résidence. Et comme l’explique Mme Dr. Colombo : « à ce stade, avec la procédure pénale en cours et l’arrestation de la part des forces de police du pays étranger, le juge allemand qui a en mains toutes les cartes peut tranquillement décider d’enlever la garde de l’enfant au parent non allemand. »

Tout ça indépendamment de l’arrêt du 15 juillet 2010 dans lequel la Cour de Justice européenne dans la procédure C-256/09 le réaffirme, comme indiqué par l’article 16 de la Convention Aja de 1980. L’arrêt de la Cour de Justice européenne écrit clairement que ces décisions prononcées après l’éventuel transfert ne peuvent justifier une demande de rapatriement. Souvent par contre les tribunaux de toute l’Europe ignorent cet arrêt et la jurisprudence en matière, et ordonnent quasi systématiquement le rapatriement de l’enfant en Allemagne. Le parent étranger qui à ce point ne peut plus voir l’enfant qu’en de brefs moments et sous surveillance, est contraint à payer une pension, non pas par rapport à ses revenus mais en référence au tableau allemand. Un impayé peut engendrer une saisie surtout en Italie où les parents italiens sont souvent propriétaire d’un bien immobilier et risquent de perdre l’appartement dans lequel ils habitent pour envoyer l’argent en Allemagne.

Cela peut être pire encore. Après 18 mois sans aucune nouvelle de ses 2 enfants dont la garde avait été attribuée à la mère allemande, Patrick, père français, a arrêté de payer la pension et s’est vu envoyer un mandat d’arrêt international et a été extradé. Patrick se rappelle la situation ainsi ”Je savais que mon ex-femme avait une bonne situation économique et je n’aurais mis personne en difficulté mais quand j’ai arrêté de payer car je ne savais plus rien de mes enfants, le Jugendamt m’a dit : ”Tant que vous ne recevez pas un acte de décès, vous devez payer. »

En réalité après la séparation de 2006, Patrick avait le droit de passer avec ses enfants 8 heures tous les 15 jours. Mais un beau jour la mère a décidé de ne plus les lui remettre, raconte-t’il désespéré.

“ Sont passe 9 ans 11 mois et 4 jours la dernière fois où je les ai vus, c’était le 10 octobre 2010, Angelina avait 8 ans et Pierre 7 ans. Je me rappelle bien de ce jour. Mon ex-femme avec qui la situation n’allait pas du tout, m’avait donné rendez-vous dans une rue un peu bizarre. Je suis arrivé en voiture, les enfants souriaient heureux. J’ai ensuite entendu arriver la police. Les agents une fois descendus de la voiture, m’ont dit : « Va-t’en de ce pays » devant mes enfants, vous comprenez… » En retenant ses larmes, Patrick conclut : « Le dernier au-revoir fût avec eux qui me regardaient ébahis sans comprendre ce qui était en train de se passer. »

L’histoire de Kerem

Il y a des histoires comme celle de Kerem, père d’origine turque qui semble confirmer les mots de Moritz :

« Il y a un vrai business qui produit plus de 40 milliards d’euros par an ». Nous sommes en mai 1999 quand Kerem découvre que son ex compagne attend un autre enfant de lui. La mère ne voulait pas reconnaitre l’enfant, Kerem décide avec son accord que quand il naitra il le gardera avec lui et le l’élèvera tout seul. Mais la femme disparait après l’accouchement, avec l’aide du Jugendamt. L’enfant est confié, pour adoption, à un couple d’allemands. Quand Kerem, 3 mois après, réussit à retrouver la trace du nouveau-né, il fait immédiatement une demande de reconnaissance de paternité. Il devra attendre un an et demi et un test d’ADN pour qu’on le reconnait comme le père de l’enfant. A ce moment le tribunal allemand l’autorise à lui rendre visite chez la famille adoptive ; les visites devront être de plus en plus longues et plus fréquentes. Le Jugendamt, selon Kerem, ralentit et met des obstacles aux visites jusqu’à les bloquer grâce à un recours que le Jugendamt présente à la Cour d’Appel. Après un long et tortueux parcours juridique, en octobre 2003, on empêche à Kerem de reconnaitre et d’adopter son fils et de le rencontrer. Le paradoxe est que les juges et les experts, dans leurs échanges, avaient affirmé qu’il est un excellent père en bon rapport avec son fils. En 2004 la Cour européenne des droits de l’Homme de Strasbourg se prononce sur cette affaire et condamne l’Allemagne pour violation des droits de l’enfant. Malheureusement l’affaire ne se conclut pas comme ça ; la Cour d’Appel allemande bloque la sentence pour motifs procéduraux. Kerem fait appel pour le non-respect de la décision de Strasbourg mais il n’obtient qu’une indemnisation économique. Il n’a jamais pu revoir ou embrasser son fils.

Chaque année en Allemagne, le Jugendamt, raconte Mme Dr. Colombo, enlève aux parents plus de 50 000 enfants d’après les données de Destatis le Bureau Fédéral de statistiques allemand. Nous parlons de 550 000 dans les 10 dernières années. La plus grande partie ne rentre pas dans la famille naturelle, ces enfants sont placés chez d’autres familles ou restent dans un foyer jusqu’à leur 18 ans. 72% des enfants a au moins un parent étranger, et donc dans beaucoup de cas italiens. Ceci a été confirmé aussi par le parlementaire européen polonais Zdzislaw Krasnodebsky dans une conférence tenue au Parlement européen le 29 mai 2018.

Des données bouleversantes qui font réfléchir. Et si d’une part le Parlement européen avec la résolution du 29 novembre 2018 “rappelle à l’Allemagne ses obligations internationales prévues par la Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfance”, de l’autre, on se demande pourquoi encore aujourd’hui autant de parents privés de leurs enfants italiens et non-allemands n’arrivent pas à faire valoir leurs droits face à cette puissante administration allemande.

« L’Allemagne veut prendre ma fille », cette Toulousaine en appelle à Emmanuel Macron

Article d’Olivier Lebrun, publié le 04/06/2020 sur le site France Bleu – Occitanie

Comme beaucoup de conjoints de couples franco-allemands, Stéphanie risque de perdre la garde de sa fille de 8 ans parce que la justice allemande donne raison à son ex-conjoint. Sa fille risque de lui être retirée sur une décision de la cour d’appel de Toulouse, en plein déconfinement.

Stéphanie et sa fille de 8 ans qui risque de lui être retirée sur décision de la justice allemande – @Photo Stéphanie H.

L’appel de détresse d’une maman toulousaine. Comme beaucoup de parents de couple franco-allemand, elle risque de perdre la garde de sa fille de 8 ans parce que la justice allemande a donné raison à son ex-compagnon. Stéphanie a accepté que sa fille qui vit avec elle à Toulouse, passe chaque année la moitié de ses vacances chez son papa en Allemagne. Mais depuis que celui-ci a demandé sa garde, les autorités allemandes font tout pour que la petite fille le rejoigne en Allemagne. Malgré tous ses recours, une décision de la cour d’appel de Toulouse le 12 mai tombe comme un couperet. Sa fille risque de lui être retirée, comme le demande la justice allemande.

Deux ans et demi de combat judiciaire

Cette maman toulousaine est effondrée, elle en appelle à Emmanuel Macron, au nom de tous les parents contraints de livrer leurs enfants à la justice allemande. « La décision de la cour d’appel de Toulouse est tombée juste après le déconfinement, ordonnant le renvoi de ma fille en Allemagne, suite à la demande de retour de son père. J’en suis à 82 000 € de procédure, à deux ans et demi de combat. Ce qui risque de se passer, c’est que le parquet toulousain et les autorités françaises fassent exécuter cette décision, et qu’elles envoient ma fille en Allemagne auprès de son père. Je ne connais pas son domicile, il a déménagé. Je sais très bien que je n’aurai plus de nouvelles de ma fille » s’inquiète cette maman qui ne peut contenir ses sanglots.

« Je veux apporter ma voix et celle de ma fille aux milliers d’autres voix d’enfants et de parents européens qui bataillent pour que l’Allemagne et surtout le Jugendamt (les services allemands de protection de l’enfance) cessent leurs méfaits, et que d’autres parents d’enfants nés d’un parent allemand puissent être dupés » ajoute Stéphanie.

Du « kidnapping légal »

« Ma fille est née en 2011 à Toulouse d’un père allemand que j’ai rencontré dans un contexte humanitaire. Son père et moi n’avons jamais été mariés, ni jamais eu de vie commune en Europe. Notre fille porte mon nom de famille, nous nous séparons officiellement d’un commun accord devant le TGI de Toulouse lorsqu’elle n’a pas encore un an. _Le jugement prévoit une autorité́ parentale partagée_, ma fille passe la moitié des vacances scolaires toulousaines en Allemagne. »

En 2017, c’est en toute confiance que Stéphanie conclut un accord de médiation familiale avec le père de sa fille, afin qu’elle passe une année scolaire en Allemagne pour favoriser sa relation avec son papa et lui permettre de mieux connaître sa famille, sa langue sa culture et ses racines allemandes. Dès son arrivée en Allemagne le 26 mai 2017, son père refuse de respecter l’accord préalablement conclu à Toulouse. Depuis, la justice allemande fait tout pour récupérer l’enfant, la préférence allant systématiquement au parent allemand pour la garde de l’enfant en cas de séparation d’un couple binational.

« Je ne savais pas que l’Allemagne pratiquait le kidnapping international sur son sol en toute impunité_, je ne connaissais pas la problématique des milliers d’enfants franco-allemands « volés », je ne savais pas que depuis 50 ans des milliers de parents français bataillent juridiquement et financièrement pour maintenir un lien avec leur enfant détenu sur le sol allemand » dit Stéphanie qui a écrit à Emmanuel Macron et Brigitte Macron pour les interpeller sur cette situation.

« Je pense profondément que les enfants ont besoin de leurs deux parents, l’Allemagne ne le respecte pas. Ce sont 40 000 enfants bi-nationaux qui sont maintenus sur le sol allemand, il faut que cela cesse. »

Une résolution restée lettre morte

L’avocate toulousaine de l’association « Enfants Otages », Maitre Stéphanie Dupont-Baillon, défend quatre familles toulousaines de couples bi-nationaux franco-allemands, elle dénonce le chantage de la justice allemande qui donne systématiquement raison à ses ressortissants. Comme dans le cas de Stéphanie, les droits de sa fille qui souhaite rester en France avaient pourtant été reconnus devant un juge français.

« On va déraciner cette enfant, parce que les autorités allemandes sont toutes complices, l’intérêt c’est de garder l’enfant sur le sol allemand. L’amitié franco-allemande ne peut pas perdurer si on enlève des enfants, s’il n’y a pas de coparentalité entre un Français et un Allemand. J’en appelle aux autorités françaises pour qu’elles soutiennent leurs ressortissants, je veux une sanction financière de l’Allemagne, des mesures de rétorsion si elle continue à bafouer le droit international. »

En 2008, les députés européens ont voté une résolution dénonçant « les pratiques discriminatoires du système judiciaire familial allemand », mais le vote semble rester lettre morte. « Les autorités françaises nous disent que les choses s’améliorent, mais ne n’est pas vrai, l’Allemagne campe sur ses positions, il faut que ça change », estime l’avocate qui s’interroge : pourquoi la cour d’appel de Toulouse a-t-elle rendu un tel jugement après deux mois de confinement et après la grève des avocats, donnant raison de façon incompréhensible à une décision pourtant inapplicable sur le sol français ?

L’avocate de Stéphanie a déposé un pourvoi en cassation. On attend la décision d’ici la rentrée de septembre. Un recours est encore possible auprès de la Cour Européenne des Droits de l’Homme.

« Comment ma fille peut-elle quitter une ville qui l’a vu naître et grandir, où elle est élue au conseil municipal des enfants, comment peut-elle être coupée de son pays, de sa mère et de ses repères ? » interroge sa maman qui espère que ses appels seront entendus.

Une petite fille toulousaine de 9 ans pourrait bien être prochainement livrée à l’Etat allemand

Au-delà de la dénonciation d’une nouvelle méthode d’enlèvement qui semble devenir courante en Allemagne, il s’agit ici de pointer ce que nous croyons être un dysfonctionnement du système juridique français, peut-être accentué par la crise sanitaire que nous vivons.

Née en 2011 à Toulouse où elle a toujours vécu avec Stéphanie, sa maman, cette petite fille a passé chaque année la moitié de ses vacances scolaires chez son papa en Allemagne.

En 2017, c’est en toute confiance que Stéphanie conclut un accord de médiation familiale avec le père de sa fille, afin qu’elle passe une année scolaire en Allemagne pour favoriser sa relation avec son papa et lui permettre de mieux connaître sa famille, sa langue sa culture et ses racines allemandes.

Dès son arrivée en Allemagne le 26 mai 2017, son père refuse de respecter l’accord préalablement conclu à Toulouse.

Droit à un procès équitable en Allemagne : une Française en risque de perdre son fils mardi

A cette heure, nous tentons toujours d’obtenir une présence consulaire à l’audience du mardi 14 avril 2020, comme il a été recommandé par la résolution du parlement européen de novembre 2018.


Article de Pénélope Bacle, publié le 12/04/2020 sur le site francaisaletranger.fr

Malgré le weekend de Pâques et le confinement, un juge allemand a refusé de reporter l’audience mardi matin concernant la garde d’un enfant franco-allemand. Sa mère française, informée cinq jours plus tôt de cette audience par un email du père de l’enfant, à qui aucun document n’a été transmis pour préparer sa défense, craint de perdre son fils face à un système réputé discriminant.

La nouvelle a été confirmée le 9 avril à 15h31 par le tribunal allemand . Une Française, dont nous avons choisi de conserver l’identité secrète par mesure de précaution, devra se rendre le 14 avril devant le juge allemand des affaires familiales, accompagnée de son fils de deux ans. Le tribunal fermant à 15h30 ce soir là et jusqu’à mardi matin pour le weekend de Pâques, aucune chance de recours pour cette jeune mère qui craint que le juge allemand ne saisisse cette occasion pour lui retirer la garde de son fils. Depuis des années, de nombreux parents ont rapporté avoir ainsi perdu la garde de leur enfant né d’une union franco-allemande, les juges allemands donnant souvent gain de cause au parent allemand, selon l’Association Enfants Otages qui réunit des parents privés de leurs enfants par le système allemand suite à une séparation.

> Des jeunes enfants auditionnés

Le cour allemande a exigé que cette Française soit accompagnée à cette audience de son fils âgé de deux ans. L’enfant, qui doit être muni de son passeport, sera vraisemblablement auditionné à cette occasion. Le Parlement européen avait lui-même pointé du doigt ces « auditions secrètes » et voté, fin 2018, une résolution encadrant ce type d’actions du Jugendamt, l’administration de la jeunesse, dans les litiges familiaux transnationaux, qui donne ses recommandations aux tribunaux allemands.

> Le droit à un procès équitable en question

S’il est courant selon l’avocate de la mère française que les juges allemands des affaires familiales imposent des délais très courts pour se présenter face à eux, il est cependant rare qu’aucun document ne soit ainsi rendu accessible pour établir la défense de ses clients. Face à cette situation exceptionnelle, l’avocate de la Française vient de déposer un recours devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), se fondant sur le droit à un procès équitable. L’avocate a cependant peu d’espoir que ce recours ne fonctionne compte tenu de la situation actuelle de confinement et des délais imposés par la cour allemande.

Face à l’urgence de la situation, Enfants Otages a en parallèle contacté le Consulat français à Berlin pour réclamer la présence, à cette audience, d’un représentant français, comme il est prévu dans les textes de la résolution européenne. Selon le président d’Enfants Otages, Alain Joly, « seule la présence du consulat pourra aider cette mère à ne pas perdre son fils mardi. Sa seule vrai faute est de ne pas être allemande ». Selon Alain Joly, le Parlement européen a lui-même reconnu, via sa résolution fin 2018, l’attribution systématique de la garde au parent allemand. « Cette attribution est toujours justifiée par le bien-être de l’enfant qui, d’après la loi allemande, correspond à vivre et grandir en Allemagne chez le parent allemand ».

> Des parents isolés

La mère française avait, d’après son témoignage, fui son domicile avec son fils en début de semaine suite à de nouvelles violences conjugales. Elle avait cependant, selon elle, communiqué, comme la loi l’exige, l’endroit où elle se situait et maintenu des communications régulières entre le père et son fils. La police serait elle-même venue contrôler que son fils était bien hébergé dans de bonnes conditions.

Interrogée, cette jeune mère exprime aujourd’hui sa détresse : « on va me prendre mon enfant sans que je sache de quoi je suis accusée. L’avocate ne va même pas avoir de quoi argumenter. Nous n’avons que des hypothèses, aucun fait ». Elle ajoute : « Je n’ai pas le bon passeport, je suis isolée ».

Pédagogie : Éduquer pour le Führer

Article original en allemand de Anne Kratzer paru le 17/01/2019 sur le site Spektrum.de

© AKG Images / Lucien Lorelle (Ausschnitt)

Pour élever une génération de suiveurs et de soldats le régime nazi exigeait des mères qu’elles ignorent systématiquement les besoins de leurs bébés. Jusqu’à aujourd’hui, disent les spécialistes des sciences de l’éducation, on constate les effets de cette méthode.

Elle veut aimer ses enfants, mais tout simplement elle n’y arrive pas. La dépression pousse Renate Flens à fréquenter le cabinet de la psychothérapeute Katharina Weiss. Cette experte a tôt fait de percer derrière les problèmes de sa patiente la frustration de celle qui ne peut pas laisser d’autres personnes l’approcher.

Après une recherche intensive des causes dans le passé de Flens les deux femmes pensent avoir trouvé une coupable : le médecin Johanna Haarer qui au temps du nazisme expliquait dans ses manuels comment éduquer les enfants pour le Führer. Et pourtant Renate Flens, qui s’appelle autrement en réalité, n’a vu le jour que dans les années 1960 – bien après la guerre. Mais les livres de Haarer étaient des bestsellers. Même dans l’Allemagne d’après-guerre on en trouvait des exemplaires dans presque chaque foyer. Questionnée par sa thérapeute Flens se souvint d’avoir vu quelques livres de Haarer dans la bibliothèque de ses parents. Et un aspect particulièrement négatif de la philosophie éducative de Haarer a sans doute été transmis de génération en génération : pour éduquer de bons soldats et de bons suiveurs, le régime nazi exigeait des mères qu’elles ignorent systématiquement les besoins de leurs bébés. Ces enfants ne devaient pas avoir d’émotions ni d’attachement. Quand toute une génération a été éduquée avec ce système de sorte à ne pas s’attacher aux autres, comment peut-elle alors apprendre cet attachement à ses enfants ou petits-enfants ?

En 1934 le médecin Johanna Haarer publia son manuel « La mère allemande et son premier enfant ». Le livre se vendit à 1,2 millions d’exemplaires et devint pendant le nazisme la base de l’éducation dans les jardins d’enfants et les foyers ainsi que dans les stages de formation des « mères du Reich ».

Dans son livre Haarer recommande aux mères de faire grandir leurs enfants sans attachement. Si l’enfant pleure, il faut le laisser crier. Des câlins exagérés doivent toujours être évités.

Les scientifiques craignent qu’une telle méthode cause chez les enfants concernés un trouble de l’attachement qu’ils ont ensuite transmis aux générations suivantes. Il n’y a pas cependant d’études « randomisées » sur l’influence de la philosophie éducative de Haarer.

« Les analystes et les spécialistes de l’attachement y voient déjà depuis longtemps un sujet » dit Klaus Grossmann, qui était chercheur à l’université de Ratisbonne et qui a étudié dès les années 1970 l’attachement mère-enfants. Au laboratoire il pouvait alors reconstituer régulièrement ce type de scène : un bébé pleure. La mère se dirige vers l’enfant, mais avant d’être près de lui, elle s’arrête. Bien que l’enfant pleure à quelques mètres d’elle, elle ne fait rien pour le prendre dans ses bras et le consoler. « Quand nous demandions aux mères pourquoi elles agissaient ainsi, elles disaient qu’elle ne devaient pas gâter l’enfant. »

Ce genre de phrase et de de proverbe comme « Un Indien ne connaît pas la douleur » sont encore répandus de nos jours. Même les bestsellers « Chaque enfant peut apprendre à dormir » d’Annette Kast-Zahn et Harmut Morgenroth vont dans le même sens. Le livre conseille de coucher seuls dans leur chambre les enfants qui ont du mal à s’endormir ou à dormir d’une traite et de n’aller les voir ou leur parler qu’à des intervalles de plus en plus longs, de ne pas les prendre dans les bras, même quand ils pleurent. « Le mieux, c’est quand l’enfant est seul dans sa propre chambre » écrivait Johanna Haarer dans son manuel de 1934 « La mère allemande et son premier enfant ». Si l’enfant se met à crier ou à pleurer, il faut l’ignorer. « Ne commence surtout pas à sortir l’enfant de son lit, à le porter, à le bercer, à le promener ou à le tenir sur tes genoux, voire à le laisser téter. L’enfant comprend incroyablement vite qu’il n’a qu’à crier pour faire venir une âme compatissante et devenir ainsi l’objet d’une telle sollicitude. En peu de temps il exige comme son droit qu’on s’occupe de lui  et n’arrête pas de réclamer qu’on le porte, le berce ou le promène – et voici que règne le petit, mais impitoyable tyran du foyer ! « 

Le bébé, un esprit maléfique dont il faut briser la volonté – tels étaient les enfants selon Haarer. Les effets de cette vision se font sentir encore aujourd’hui. Qu’il s’agisse de la faible natalité, des nombreuses personnes divorcées ou vivant seules, des nombreux burnouts, dépressions, maladies psychiques en général – de nombreux chercheurs, médecins, psychologues se demandent s’il ne faut pas rapporter toute une série de phénomènes à l’absence de sentiment et d’attachement qui a marqué l’éducation des enfants.

Une vision lucide de ces phénomènes sociaux suggère toutefois assurément des causes multiples. L’influence de Haarer ne peut être constatée tout au plus que pour un cas particulier, comme celui de la patiente de Katharina Weiss. « La plupart du temps de telles thérapies mettent d’autres sujets en avant. Mais au bout d’un certain temps on entend des choses qui font penser à Haarer : le dégoût face à son propre corps, des règles alimentaires strictes et une incapacité à s’attacher » dit la psychanalyste. Même le psychiatre et psychothérapeute Hartmut Radebold parle d’un patient qui le consulta à cause de graves problèmes de relation et d’identité. Un jour, ce dernier trouva chez lui un gros livre dans lequel sa mère avait noté d’innombrables informations sur sa première année de vie  concernant son poids, sa taille ou la fréquence de ses selles – mais aucun mot sur ses sentiments.

« On nourrit, baigne, sèche l’enfant, pour le reste on le laisse totalement en paix », tels étaient à l’époque les conseils de Johanna Haarer. Elle décrivait dans tous les détails les aspects corporels, ignorait tout ce qui était psychique – et mettait en garde contre une affection « simiesque » : « Submerger l’enfant de tendres câlins, surtout quand ils viennent de tierces personnes, peut nuire et amollir à la longue. Une certaine retenue à cet égard est ce qui convient à la mère allemande et à l’enfant allemand. » Dès la naissance, il faut recommander d’isoler l’enfant pendant 24 heures ; au lieu d’utiliser une « langue enfantine ridiculement déformée » la mère ne doit s’adresser à lui qu’en un « allemand raisonnable », et quand il crie, elle doit le laisser crier. Cela fortifie les poumons et endurcit.

Les conseils de Haarer avaient une apparence moderne et scientifique, mais ils étaient faux – et on le savait déjà à l’époque – et même nocifs. Les enfants ont besoin de contact physique mais Haarer recommandait de les toucher le moins possible quand on les porte. Elle conseillait une position peu naturelle, illustrée par des images : les mères portent leurs enfants en évitant de les toucher et les fixent sans les regarder pour autant dans les yeux.

De telles expériences peuvent traumatiser. Entre 2009 et 2013 les psychologues Ilka Quindeau et ses collègues de la Frankfurt University of Applied Sciences ont étudié la génération des enfants de la guerre, pour répondre à une mission du ministère fédéral de l’éducation et de la recherche. En fait leur étude devait porter sur les effets à long terme des bombardements et de la fuite des populations. Mais dès les premières interviews les chercheuses durent modifier leur cahier des charges : les conversations concernaient si souvent des expériences familiales qu’elles décidèrent d’ajouter une interview supplémentaire de plusieurs heures sur ce sujet. À la fin, les scientifiques concluent ceci : « Ces personnes manifestent un modèle de loyauté remarquablement forte envers leurs parents. Que leurs descriptions ne mentionnent aucun conflit signale une perturbation de la relation. » En outre Quindeau indique que nulle part ailleurs en Europe on trouve un discours d’enfants de la guerre aussi exhaustif qu’en Allemagne, bien qu’il y ait eu aussi dans d’autres pays des bombardements et des destructions. La psychanalyste austro-britannique Anna Freud avait découvert en 1949 que les enfants qui avaient une bonne relation avec leurs parents avaient moins souffert de la guerre que ceux qui n’avaient pas de bonne relation. Si l’on combine ces découvertes, on constate que les interviews des enfants de la guerre en disent moins sur les bombardements et les expulsions que plutôt sur le deuil concernant les expériences familiales, telle est l’hypothèse de Quindeau. Seulement, ces expériences sont si traumatisantes qu’elles sont devenues indicibles.

Difficile de prouver cette interprétation. L’éthique interdit de réaliser des études expérimentales randomisées de contrôle sur l’influence des conseils pédagogiques de Haarer. Mais des recherches qui ne concernent pas au premier chef l’éducation durant le Troisième Reich livrent des renseignements de valeur, dit Grossmann. « Toutes les données que nous avons indiquent ceci : quand on privé durant la première ou les deux premières années un enfant d’un discours affectueux – telle était la recommandation de Johanna Haarer – on obtient ces enfants limités, incapables d’émotion et de réflexion que la recherche nous fait découvrir. »

Ce spécialiste de l’attachement affectif renvoie entre autres à une étude de long terme publiée en 2014 dans la revue spécialisée « Pediatrics » par une équipe réunie par la psychiatre Mary Margaret Gleason de la Tulane Université de la Nouvelle-Orléans, Louisiane. Gleason et ses collègues  avaient réparti en deux groupes 136 orphelins roumains âgés de six mois à quatre ans : une moitié restait au foyer, les autres furent confiés à des familles d’accueil. Le groupe de contrôle de la même région était constitué par des enfants grandissant chez leurs parents. Entre autres choses, tant chez les enfants des foyers que ceux des familles d’accueil, l’étude constata des problèmes d’apprentissage de la langue et d’attachement. Si par exemple, durant une expérience avec 89 des enfants, un étranger entrait par la porte et demandait aux garçons et aux filles de le suivre sans donner de raison, seuls 3,5% des enfants du groupe de contrôle lui obéissaient, mais 24,1% des enfants des familles d’accueil et même 44,9% des enfants des foyers.

Quand toute une génération a été élevée sans construire d’attachement, comment peut-elle apprendre cet attachement à ses enfants ?

« De tels enfants qui sont manipulables, qui ne pensent et ne ressentent rien, sont pratiques pour une nation de guerriers », dit Karl-Heinz Brisch, psychiatre et psychothérapeute à la clinique pédiatrique Dr. von Haunerschen de l’université Ludwig-Maximilian de Munich. Même dans l’antique cité de Sparte les enfants ont été ainsi élevés. « L’essentiel pour Johanna Haarer, c’est qu’on ne donne pas d’affection à l’enfant quand il en demande. Mais quand on refuse, on repousse aussi », explique Grossmann. Un bébé ne peut communiquer qu’en mimant ou en faisant des gestes. Si cela ne suscite aucune réaction, il apprend que ce qu’il dit n’a aucune valeur. En outre les bébés ont peur de mourir lorsqu’ils souffrent de la faim ou de la solitude et que leur personne de contact ne les apaise pas. Dans le pire des cas, de telles expériences mènent à un trauma de la relation qui empêche les personnes concernées de s’attacher par la suite à d’autres personnes.

Haarer, qui n’avait en tant que pneumologue aucune formation pédagogique ou pédiatrique, fut délibérément soutenue par les nazis. Les conseils de son livre « La mère allemande et son premier enfant » furent enseignés dans les formations destinées aux « mères du Reich ». Ces cours devaient inculquer aux femmes allemandes des règnes unitaires pour élever des nouveau-nés. Jusqu’en avril 1943 ce ne fut pas moins de trois millions de femmes qui subirent ces formations. En outre, le manuel de Haarer était la base de l’éducation dans les jardins d’enfants et les foyers.

Avant même de publier sa « bible de l’éducation » Johann Haarer avait traité des soins pour nourrissons dans des journaux. Plus tard d’autres livres d’elle parurent, entre autres « Mère, parle d’Adolf Hitler », une sorte de conte propageant dans une langue accessible aux enfants l’antisémitisme et l’anticommunisme, ainsi que « Nos petits enfants », un autre manuel de conseils. Après le nazisme la Munichoise fut internée durant une année. Elle resta une nazie enthousiaste jusqu’à sa mort en 1988, selon les dires de deux de ses filles. Et son idéologie personnelle n’est  pas la seule à survivre au Troisième Reich, mais aussi son œuvre principale « La mère allemande et son premier enfant » qui resta longtemps encore un ouvrage répandu. Soutenu par la propagande nazie, il atteignit un tirage de 690.000 exemplaires jusqu’à la fin de la guerre. Et même après la guerre, épuré de son jargon nazi le plus grossier, il fut acheté jusqu’en 1987 par presque autant d’Allemands, atteignant un tirage total d’1,2 millions d’exemplaires

Ces chiffres montrent le succès de l’idéologie de Haarer même après la guerre. Mais pourquoi des mères ont-elles pu pratiquer une méthode si contraire à leur intuition ? « Cela ne plaisait pas à toutes », dit Hartmut Radebold. Le psychiatre, psychanalyste et auteur a consacré des recherches intensives à la génération des enfants de la guerre. Il part du principe que le  manuel de Haarer a eu de l’influence surtout sur deux groupes : sur les parents qui s’identifiaient fortement avec le régime nazi ainsi que sur de jeunes femmes qui venaient elles-mêmes de familles détruites (souvent par la Première Guerre mondiale) et de ce fait n’avaient aucune idée de ce qu’est une bonne relation. Si leurs époux se battaient en plus sur le front en les laissant seules, surmenées et en insécurité, il apparaît naturellement qu’elles étaient particulièrement susceptibles d’adhérer à la propagande éducative de Haarer. En outre, une éducation autoritaire était bien avant 1934 tout à fait courante en Prusse. Seule une culture qui de toute manière tendait vers de telles idées d’endurcissement et d’entraînement intensif pouvait réaliser chose semblable, pense Grossmann. Cela est confirmé, poursuit-il, par les résultats d’études des années 1970 qui indiquant par exemple qu’à Bielefeld, ville du nord de l’Allemagne, un enfant sur deux avait un trouble de l’attachement et qu’à Ratisbonne, au sud de l’Allemagne, qui n’avait jamais appartenu à la zone d’influence prussienne, pas même un enfant sur trois  n’avait en revanche un tel trouble.

Pour évaluer la stabilité de la relation entre la mère ou le père et l’enfant Grossmann et d’autres scientifiques utilisent souvent le test de la situation étrange mis au point par la psychologue nord-américaine du développement Mary Ainsworth. Une mère entre dans une pièce par exemple avec son petit et le dépose près d’un jouet. Après 30 secondes elle s’assied sur une chaise et lit un magazine. Après deux minutes au plus sonne un signal censé rappeler à la mère d’encourager l’enfant à jouer, s’il ne le fait pas encore. Dans les intervalles suivants d’une à trois minutes se déroulent les scènes suivantes : une femme étrangère paraît dans la pièce se tait, les deux femmes s’entretiennent, l’étrangère s’occupe de l’enfant, la mère laisse son sac à main sur la chaise et sort de la pièce. Au bout d’un bref moment elle revient dans la pièce, l’étrangère sort. Peu après la mère sort, et l’enfant reste seul. Après peu de minutes c’est d’abord l’étrangère qui revient et s’occupe de l’enfant, puis la mère.

Les spécialistes de l’attachement observent dans les détails comment se comporte l’enfant. Si dans la situation de séparation il est brièvement heurté et pleure, mais se calme rapidement, on considère qu’il a un attachement stable (« secure »). Les garçons et les filles qui ne trouvent plus le calme ou bien qui ne réagissent pas du tout à la disparition de leur personne de référence passent en revanche pour avoir un attachement instable (« insecure »). Grossmann a fait ce test dans des cultures différentes. Il découvrit ainsi qu’en Allemagne, par opposition à d’autres pays occidentaux, beaucoup d’adultes sont positivement impressionnés par les enfants qui ne réagissent pas à la disparition de leur personne de référence. Ces parents estiment alors que ces enfants sont « autonomes ».

Tels parents, tels enfants

Ses résultats montrent en outre que des enfants, quand ils deviennent adultes et ont eux-mêmes une descendance, transmettent leur comportement d’attachement à la génération suivante. Dans le cadre de l’une de leurs études Grossmann et ses collègues ont saisi de quatre à cinq ans après le test de la situation étrange, à l’aide d’interviews, quel fut le style d’attachement des parents des enfants de l’enquête, quand ils étaient eux-mêmes des enfants. Pour leur évaluation les scientifiques n’ont pas seulement tenu compte du contenu des réponses, mais aussi des émotions des adultes pendant l’entretien. Ainsi, les chercheurs regardaient si les personnes interviewées changeaient souvent de sujet, ne répondaient que par des monosyllabes ou se lançaient dans des éloges bien trop généraux de leurs propres parents, sans décrire de situation concrète. Le résultat de la publication parue en 1988 : pour 65 parents et enfants le comportement d’attachement correspondait dans 80% des cas à celui des parents. Une méta analyse de 2016 des chercheurs réunis autour de Marije Verhage de l’université d’Amsterdam, sur la base d’un corpus de 4819 personnes, a confirmé l’effet de la transmission du comportement d’attachement d’une génération à l’autre.

Il y a actuellement différentes théories tentant d’expliquer comment exactement les parents transmettent à leurs enfants les expériences négatives de leur enfance. Entre-temps les indices s’accumulent concernant le rôle que pourraient jouer ici des facteurs biologiques. Dahlia Ben-Dat Fisher de l’université Concordia de Montréal et ses collègues ont par exemple découvert en 2007 que les enfants de mères négligées durant leur enfance ont régulièrement le matin un taux inférieur de l’hormone de stress cortisol. Les chercheurs ont estimé que c’était le signe d’une manière anormale de réagir au stress.

Une équipe réunie autour de Tobia Hecker de l’université de Zurich a comparé en 2016 en Tanzanie des enfants qui avait subi beaucoup de violence physique et psychique avec d’autres qui n’avaient subi que peu de mauvais traitements de ce genre. Ils découvrirent ici dans le premier groupe non seulement davantage de problèmes médicaux, mais aussi une forme divergente de méthylation du gène qui code la protéine proopiomélanocortine. Cette protéine est déterminante pour toute une série d’hormones, en particulier l’hormone de stress adrénocorticotrophine qui est fabriquée dans la glande de l’hypophyse. Des schémas de méthylation modifiés peuvent influer sur l’activité du gène et très probablement être transmis de génération en génération. Dans des expériences sur des animaux les scientifiques ont pu déjà bien observer ce phénomène, chez l’homme les résultats actuels ne sont pas aussi clairs.

Du point de vue comportemental on ne peut transmettre que les expériences que l’on connaît, dit Grossmann. Certes, les parents peuvent faire le point sur leur propre expérience de l’attachement et tenter d’élever autrement leurs enfants. « Mais dans les moments de stress on retombe souvent dans les schémas appris et inconscients », affirme Grossmann. Peut-être est-ce la raison pour laquelle Gertrud Haarer, la plus jeunes des filles de Johanna Haarer, n’a pas voulu avoir d’enfants. Elle a publiquement parlé de manière critique de sa mère et, après une grave dépression, elle a écrit un livre sur sa vie et ses opinions. Elle-même, dit-elle, avait longtemps refusé les contacts et n’avait aucun souvenir de son enfante. « Manifestement, cela m’a tellement traumatisée que je pensais ne jamais pouvoir élever d’enfants », déclara-t-elle dans une interview à la radio bavaroise.

Anna est psychologue et journaliste à Heidelberg. Lorsqu’elle parla de sa recherche à sa mère, cette dernière monta au grenier et lui présenta l’un des manuels de Haarer – dont elle n’avait cependant jamais pensé du bien.

Couples binationaux : « La plupart des cas d’enfants dits volés sont franco-allemands »

Article paru le 22/07/2018 dans Le Parisien

Dans une tribune au Parisien – Aujourd’hui en France, trois parlementaires européens se mobilisent pour un meilleur traitement des affaires familiales.

Entre 2007 et 2018, le Parlement européen a reçu plus de 300 pétitions dénonçant les pratiques des tribunaux et du Jugendamt, l’Office allemand de la jeunesse. LP/Olivier Corsan

Emmanuel Maurel (PS), Virginie Rozière (RG) et Edouard Martin (PS), parlementaires européens

Des centaines de nos compatriotes ont perdu la garde de leur enfant né d’une union franco-allemande, pour la seule raison qu’ils ne sont pas allemands. Les juridictions allemandes ont tendance à donner gain de cause à l’Allemand(e) qui dispute la garde de l’enfant à un(e) Français(e). Dans le cas d’un conflit transfrontalier, le verdict est le même : peu importe son lieu habituel de résidence, l’enfant issu d’un couple binational doit rester (ou retourner) sur le sol allemand, afin de protéger son « son intérêt supérieur ».

C’est le Jugendamt, l’Office allemand de la jeunesse, qui veille à l’intangibilité de cette règle. Se voulant « l’avocat des enfants », le Jugendamt, 35 Mds€ de budget, a pour mission de verser les allocations familiales et d’intervenir dans les cas de séparations judiciaires avec enfant(s). Son organisation est très décentralisée et en même temps c’est une véritable institution, un Etat dans l’Etat, qu’on appelle aussi « le troisième parent ». Il conseille les tribunaux, qui suivent ses avis, nourris par la certitude que l’Allemagne est le meilleur endroit au monde pour élever des enfants.

C’est ainsi que des parents français sont jugés inaptes à éduquer leurs enfants. C’est ainsi que des pères et des mères français perdent tout droit sur eux et s’en retrouvent définitivement séparés alors même que des jugements de tribunaux français revendiqueraient l’inverse. Ennuyeux au moment où l’on pense la création d’un procureur européen et où les juges nationaux doivent se faire mutuellement confiance. La plupart des cas d’enfants dits « volés » sont franco-allemands, mais ils sont aussi polonais, suédois, italiens… Des milliers de parents européens sont victimes de cette discrimination.

Entre 2007 et 2018, le Parlement européen a reçu plus de 300 pétitions dénonçant ces pratiques, néanmoins le droit familial ne relevant pas des compétences de l’UE, la Commission refuse toute « ingérence » dans les affaires nationales. Un règlement de 2003 existe pourtant, sur les différends transfrontaliers en matière matrimoniale et de responsabilité parentale, mais il précise que cette dernière est déterminée par la loi du pays de résidence de l’enfant. Ce faisant, la législation européenne détourne le regard de la pratique concrète des tribunaux et du Jugendamt lui-même.

Au-delà du débat « compétences nationales versus compétences communautaires », comment peut-on accepter une vision aussi unilatérale de l’intérêt supérieur de l’enfant ? Les couples binationaux sont nombreux — près de 14 % des mariages français sont mixtes et parmi eux les couples binationaux européens sont en augmentation constante. C’est l’un des heureux résultats de la libre circulation des personnes. En abolissant les frontières, l’Union européenne permet d’aimer. Mais si l’amour est permis, les séparations qui en résultent ne sont, elles, pas assez encadrées. À cause du Jugendamt et de l’inaction européenne, des centaines de couples se séparent ainsi dans l’injustice — et dans la ruine : non seulement la procédure administrativo-judiciaire allemande est infiniment plus complexe que la nôtre, mais elle est aussi exclusivement formulée en allemand et surtout… très onéreuse. Les frais d’enregistrement et d’avocats peuvent très vite dépasser plusieurs dizaines de milliers d’euros. Bafouant en toute impunité deux principes fondamentaux de l’Union — la non-discrimination à raison de la nationalité et la libre circulation des personnes, l’Allemagne, expose des citoyens européens à la plus cruelle des injustices : être définitivement séparés d’un enfant.

L’Europe doit favoriser une coordination minimale entre les différents droits nationaux de la famille, ne serait-ce que pour éviter des situations aussi kafkaïennes que celles créées par le Jugendamt, et s’intéresser davantage aux enfants issus de couples binationaux européens. Or c’est à l’Europe d’agir, en faisant respecter ses principes et en créant les conditions, concernant les affaires familiales, d’un véritable droit au procès équitable en Allemagne et partout en Europe. Représentants des citoyens, nous, parlementaires européens, refusons d’être complices d’une telle situation.

Le combat de Rouennais pour faire revenir leurs enfants restés en Allemagne avec leur autre parent

Article de Christophe Hubard, paru le 15/06/2018 dans le journal Paris Normandie

Conférence de presse du 29 mai 2018 au Parlement européen à Strasbourg

Combat. Tandis que l’association rouennaise Enfants otages continue d’aider les parents ayant perdu la garde de leur enfant, des eurodéputés tentent de faire du bruit médiatiquement.

Rencontrée il y a un an (lire notre édition du 3 juillet 2017), l’association rouennaise Enfants otages poursuit son action en faveur des parents ayant perdu la garde de leur enfant au profit de l’ex-conjoint allemand. L’accumulation des cas favorisant le parent allemand pousse des députés européens à s’emparer du sujet. Interview de Virginie Rozière (Les Radicaux de gauche), eurodéputée à l’initiative d’une conférence de presse tenue le 29 mai au Parlement européen.

Qu’est-ce qui vous a décidé à organiser cette conférence ?

« Nous avons eu une nouvelle pétition [déposée auprès du Parlement européen au sein de la Commission des pétitions, NDLR] d’une mère de famille française. Elle s’est rendue en Allemagne pensant assister à une conciliation autour de la garde de son enfant. À ce moment-là, elle avait encore l’autorité parentale exclusive. En sortant du tribunal, elle est repartie sans son enfant, le juge ayant décidé d’accorder la garde à son ex-conjoint, allant à l’encontre de la décision de justice française. »

De combien de cas parlons-nous ici ?

« Plus de 300 pétitions ont été enregistrées à ce jour par la Commission des pétitions [en 2012, on en dénombrait une centaine, mais le problème est bien antérieur, NDLR]. Et encore, il faut connaître son existence. Je viens de rencontrer une dame dans une situation similaire. Elle a entendu parler de la conférence de presse et se demandait si cela valait le coup de déposer une pétition. À mon avis, on est sur plusieurs milliers de cas. »

Qu’est-il reproché ici à l’Allemagne ?

« La violation du droit européen par le Jugendamt* (en français, « l’administration de la jeunesse », accusée de veiller aux intérêts de l’Allemagne). Nous avons des cas écrits noir sur blanc où l’on nous explique que l’enfant scolarisé en France serait mieux en Allemagne, qu’il y recevrait une meilleure éducation. La juridiction allemande ne tient pas compte des décisions prises dans le pays de résidence de l’enfant. »

« Plusieurs milliers de cas »

N’est-ce pas le travail de la Commission européenne de faire respecter la hiérarchie du droit et notamment le règlement Bruxelles II bis censé régler ces questions ?

« En effet. Nous voulons qu’elle ouvre une infraction à l’endroit de l’Allemagne pour discrimination sur la base de la nationalité. C’est une entorse aux principes fondamentaux de la construction européenne. Mais l’un de ses représentants nous a déjà répondu qu’elle n’est pas compétente. C’est faux. Si c’était seulement quelques cas, il ne lui appartiendrait pas de se substituer au juge. Mais vu l’accumulation, elle devrait demander au Jugendamt des statistiques des cas de binationaux pour voir dans quel sens va la préférence. »

Que faire ?

« Nous allons essayer de produire, pour cet automne, une résolution au Parlement adressée à la Commission et au Conseil de l’Union européenne, afin d’investiger et d’agir pour prendre la mesure. »

Quelles sont vos chances de réussite ?

« Il faut une majorité simple au Parlement. Cela nécessitera beaucoup de travail de diplomatie, tout en veillant à ne pas tomber dans l’anti-germanisme primaire. Évidemment, nos collègues allemands quelle que soit leur appartenance politique ferrailleront contre. Si on y arrive, ce sera une première sur le sujet. »

Ces questions ne sont pas récentes. Pourquoi en est-on encore là aujourd’hui ?

« Je ne me l’explique pas. Si ce n’est pour des raisons diplomatiques… Mais qu’est-ce qui peut justifier de sacrifier des centaines d’enfants ? Je ne comprends pas l’inaction de la Chancellerie française dont le devoir est de soutenir les Français opposés à une juridiction étrangère. Il en relève de la souveraineté française. »

* Présent à la conférence de presse, un ancien fonctionnaire du Jugendamt a invité les parents non-allemands à ne pas se rendre naïvement aux convocations des tribunaux allemands. « Une fois que les enfants sont partis il est difficile de les reprendre », résume Karine Bachelier, fondatrice d’Enfants otages.

Batailles juridiques et éloignement

Il y a un an, Karine Bachelier se battait pour ne pas perdre ses derniers droits sur sa fille restée en Allemagne. Son ex souhaite qu’elle prenne le nom de sa compagne allemande.

« L’audience a été annulée, raconte la Rouennaise, mère d’Amélie (14 ans) et de Patrick (11 ans), à l’origine de l’association Enfants otages. J’ai fait un tel foin après avoir déposé une nouvelle pétition… L’affaire a été classée car j’ai démontré que la requête n’était pas recevable, l’enfant étant mineur. On m’a présenté une lettre soi-disant écrite par ma fille demandant à changer de nom. Ma fille m’a assignée elle-même, alors qu’elle est mineure ! Je l’ai rappelé pendant toute l’audience au juge mais ils bafouent même leur code de procédure. »

Séparée de sa fille depuis 2011, Karine Bachelier ne l’a toujours pas revue depuis janvier 2016 (le temps d’une journée). « Ils cherchent toujours à m’effacer administrativement. C’est la prochaine étape. »

Alain Joly, cofondateur de l’association, vit un calvaire depuis 2009, quand son amie allemande quitte le domicile avec leur fille de 3 ans. Elle en a aujourd’hui 12 et son père est autorisé à la voir toutes les trois semaines pendant deux jours de 10 h à 18 h. « Elle n’a toujours pas le droit de rester dormir. C’est une ado, je rate plein de choses… » Jusque-là proche de son père, la jeune fille vit actuellement « un conflit de loyauté » entre ses deux parents. Pendant ce temps-là, depuis mars, la pension vient de faire un bon passant de 281 € à 370 €…

En direct de l’Europe. Garde d’enfants dans les divorces binationaux : le Parlement européen se mobilise

Emission « En direct de l’Europe », présentée par Anja Vogel, diffusée le 10/06/2018 sur Franceinfo

En matière de garde d’enfants dans les divorces binationaux, les services de la jeunesse allemande sont particulièrement montrés du doigt, accusés de discrimination par la commission des pétitions du Parlement européen.

Face à une justice allemande, qui sous l’influence du Jugendamt (les services administratifs de la jeunesse) tranche quasi systématiquement en faveur du parent allemand, dans le but de maintenir l’enfant sur son territoire, la commission des pétitions du Parlement européen appelle les Etats membres et la Commission à prendre leur responsabilité.

Un drame récurrent dans les divorces de couples binationaux

C’est le drame récurrent des enfants dont les parents se déchirent la garde, par tribunaux interposés. « Enfants volés », « enfants otages », enfants enlevés, ils sont victimes de situations parfois kafkaïennes, d’autant plus douloureuses lorsque l’un des parents est totalement déchu de ses droits.

Or c’est l’une des particularités de la justice familiale allemande, régie par le puissant Jugendamt (littéralement « office de la jeunesse », surnommé « troisième parent », il englobe toute l’administration publique chargée de l’aide sociale, de la protection de la jeunesse et de l’assistance aux familles). Sous son influence, les tribunaux allemands tranchent presque systématiquement en faveur du parent allemand et du maintien de l’enfant sur son sol, une préférence nationale justifiée outre-Rhin par « l’intérêt supérieur de l’enfant ».

Depuis plus de 20 ans, des parents non allemands, victimes de cette discrimination

Des parents broyés depuis plus de deux décennies par les difficultés procédurales d’une machine judiciaire extrêmement dure, se réunissent en associations. Le CEED, Conseil européen des enfants du divorce, a beaucoup oeuvré et a déclenché une véritable prise de conscience dans les institutions européennes, avant que son fondateur, Olivier Karrer, ne soit emprisonné en Italie, à la demande de la justice allemande, pour avoir voulu aider Marinella Colombo, une linguiste italienne mariée à un Allemand, à récupérer ses enfants.

Aujourd’hui l’Association Enfants Otages poursuit le combat et continue d’alerter la commission des pétitions du Parlement européen, qui a mis en place un groupe de travail permanent sur le Jugendamt dès 2006. Grâce au règlement dit « Bruxelles II bis », l’Union européenne a clarifié la législation, en précisant quelles sont les juridictions compétentes. Mais avec l’Allemagne, le problème reste entier : de France, d’Italie, de Pologne, les pétitions continuent d’affluer, plus de 300 ces 11 dernières années.

« Une contradiction avec le droit européen »

Une nouvelle audition vient de se tenir au Parlement européen à Strasbourg, à l’initiative de l’eurodéputée Virginie Rozière, coordinatrice du groupe socialiste et démocrate pour la commission des pétitions. Face à ce qu’elle considère comme une « contradiction avec le droit européen » et une « discrimination de la part des tribunaux allemands », elle appelle la Commission européenne à sanctionner. Et les Etats membres à sortir de leur réserve.

Virginie Rozière prépare une résolution pour soutenir les parents privés de leurs enfants, comme la Mosellane Séverine Breit, qui s’est rendue à ce qu’elle pensait être une audience de conciliation, et s’y est vu retirer son fils de 6 ans qu’elle tente aujourd’hui de récupérer. Ou comme Paule-Andrée Boillat, qui après avoir passé 20 ans en Allemagne, où elle enseignait au lycée français de Francfort, vit aujourd’hui dans le Var, sous le coup d’un mandat d’arrêt européen pour enlèvement d’enfants, parce que ses filles ont fugué pour la rejoindre. Broyée par la machine judiciaire, jusqu’à se faire interpeller au domicile de ses parents, à Sanary, sous les yeux de ses enfants.

Des procédures et interpellations disproportionnées

Heureusement la procédure a pu être annulée côté français, grâce à son nouvel avocat, Me Gregory Thuan dit Dieudonné, par la chambre d’instruction de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, au motif que son « arrestation et la remise aux autorités allemandes seraient manifestement disproportionnées et qu’il y aurait une violation de son droit au respect de sa vie familiale ».

Reste l’essentiel pour cette maman, comme pour les centaines d’autres parents discriminés : pouvoir revoir leurs enfants. Cela ne sera possible qu’en remettant en cause le coeur du problème : il est structurel, explique Me Gregory Thuan dit Dieudonné, qui pointe « cette relation un peu incestueuse entre les services sociaux et le juge aux Affaires familiales allemand ».


Merci à Corinne Fugler (France Bleue Alsace) et à Anja Fogel (France Info) d’avoir couvert la conférence de presse du 29 mai 2018.

Ses fils en Allemagne, il se bat pour ses droits

Article de Éléonore Bohn, publié le 15/09/2017 dans le quotidien Ouest-France

Fabien Le Coutey se heurte depuis dix ans à l’office de la jeunesse allemande. Ses deux fils, français, vivent en Allemagne avec leur mère.

Fabien Le Coutey regrette le manque de soutien du gouvernement français.

Une semaine à Noël, trois semaines durant les vacances d’été, une semaine à Pâques et un couloir d’appel le mardi soir. Ainsi se résument les droits de père de Fabien Le Coutey. Ses deux garçons, français, nés à Vannes, âgés de 15 et 11 ans, vivent en Bavière avec leur mère.

Il n’imaginait pas, en 2007, lorsqu’il se sépare de sa femme, française, qu’elle referait sa vie en Allemagne. En août 2008, elle franchit le Rhin avec ses fils, âgés de 6 et 2 ans. Il porte plainte au commissariat pour enlèvement. « On m’a conseillé de monter une équipe pour aller chercher mes enfants », se souvient-il.

Un bras de fer s’engage entre les deux parties, pendant environ huit mois, jusqu’au moment où l’on diagnostique au père de Fabien Le Coutey, une grave maladie. Éprouvé et fragilisé, le Vannetais signe un accord en 2009, qui lui octroie dix semaines par an avec ses enfants. Une décision qu’il regrette car, une fois le divorce prononcé en 2010, il n’a plus d’outils juridiques à sa disposition.

« Aujourd’hui, mon fils me rejette »

La donne change début 2016. Fabien Le Coutey est convoqué devant la justice allemande, car son fils aîné, 15 ans, ne souhaite plus le voir. Chose possible outre-Rhin, si l’adolescent est dans sa quatorzième année. Obligé de se présenter, au risque d’essuyer une amende de 1 500 €, le Breton est incapable de comprendre ou de s’exprimer dans la langue de Goethe. Faute d’aide juridique française, à dix jours de l’audience, l’association Enfants otages lui indique un avocat français, Me Revel. Installé en Allemagne, il est spécialisé dans le droit des familles.

Devant le tribunal, en mai 2016, le père apprend que ses fils ont été entendus par le Jugendamt (Office de la jeunesse allemande). L’avocat des enfants parle de « manipulation », en désignant la mère et son conjoint. Mais la justice allemande estime qu’il y a « trop de périodes de vacances chez leur père ». Sur les six visites, il n’en reste plus que quatre. Et l’aîné accepte de venir à Noël et aux grandes vacances. Sauf que… « cela fait un an et demi que je ne lai pas vu, il nest pas venu. Et refuse le dialogue depuis le début de lannée, relate Fabien Le Coutey. Aujourdhui il me rejette. » Sa crainte est de voir le même scénario se répéter d’ici deux ans, avec son deuxième fils.

L’homme de 49 ans oscille entre incompréhension et colère. « Cest lamentable, il y a une complicité de l’État français, qui se laisse faire par lAllemagne. » Son crédo aujourd’hui est de faire connaître son histoire, mais pas uniquement, celles aussi des autres, des parents avec qui il entretient des échanges quasi quotidiens, via l’association Enfants otages.

« Jarrête de me battre contre le système allemand. Les enfants sont protégés par les lois allemandes, mais protégés de quoi ? On est traité comme des criminels. »

Rapt d’enfant : quand le juge allemand passe à l’acte

Décidément, dans ce domaine, les tribunaux allemands ne connaissent pas de limites et ne cesseront de nous surprendre, malheureusement…

Dans l’affaire de Séverine, le juge allemand du tribunal de Saarburg (Rhénanie-Palatinat) a vraiment dépassé les bornes. Non content d’organiser un rapt, il est aussi passé à l’acte en enlevant lui-même un enfant de 5 ans à sa mère.

En effet, rappelons qu’en Allemagne, lorsqu’un couple n’est pas marié, si la mère n’en a pas expressément décidé autrement, elle est seule détentrice de tous les droits parentaux sur son enfant. En cas de séparation, elle peut en toute légalité, refuser un droit de visite au père (ce n’est pas ce qu’a fait Séverine) et déménager avec son enfant, où bon lui semble.

En d’autres termes, si Séverine avait été allemande, le juge se serait purement et simplement déclaré incompétent et aurait rejeté la requête du père allemand qui demandait que l’enfant habite avec lui, puisqu’il n’avait aucun droit sur cet enfant.

Il a ensuite usé de son statut et de son autorité de juge pour intimider Séverine et la convoquer en lui demandant de se présenter à une audience de conciliation et d’amener son enfant avec elle.

Nul n’est besoin d’être devin pour savoir ce que le juge allemand a fait ensuite…

Profitons-en pour saluer l’intervention de l’eurodéputé Edouard Martin qui n’a pas utilisé la langue de bois pour répondre aux questions du journaliste du Républicain lorrain.


Articles de Stéphane Mazzucotelli, publiés le 15/09/2017 et le 16/09/2017 dans le quotidien Le Républicain Lorrain

Articles « Séverine Breit : L’Etat allemand a enlevé mon fils » et « Édouard Martin : Des milliers de pétitions contre le Jugendamt »