Le bien-être de l’enfant, une brèche dans la législation européenne

Article de Eurojournalist Strasbourg, publié le 01/07/2016 sur le site eurojournalist.eu

Comment expliquer de nos jours qu’en Europe, avec tous les règlements, les traités et les conventions, bref, tout ce qui concrétise la volonté des pays de l’Union Européenne de construire une entité commune basée sur la confiance mutuelle, que certains parents se voient déchus de leurs droits et liens parentaux en toute impunité, sans avoir pour autant fait quelque chose de préjudiciable ?

Tant que les familles franco-allemandes sont intactes, tout va bien. Mais en cas de séparation… Foto: Kelovy / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 3.0

(Par Viviane Philippe) – Nous allons tenter de vous expliquer ce qu’il faut savoir sur le droit de la famille allemand pour comprendre comment il est possible que les enfants, lors de séparations, qu’ils aient été enlevés ou non par l’un des parents, restent quasiment toujours en Allemagne. Il ne s’agit pas de s’étendre sur des notions juridiques, mais d’expliquer à tout un chacun, « comment ça marche » !

Mise en situation à partir d’un cas où aucun des parents n’est allemand et aucun enfant n’est né en Allemagne :

Un couple de parents non-allemands déménage pour s’installer en Allemagne où ils y vivent heureux pendant six mois, période à l’issue de laquelle, la résidence de ce couple devient juridiquement l’Allemagne. Dès lors, le juge compétent pour connaître des affaires familiales est le juge allemand qui lorsqu’il sera saisi, en cas de séparation, ne permettra plus jamais que l’enfant quitte le sol allemand. Vous me direz, mais c’est improbable !

Alors développons.

Tout d’abord il faut préciser qu’en Allemagne sévit une institution des plus puissantes. Il s’agit du JUGENDAMT, à ne pas confondre – comme c’est souvent le cas – avec les services sociaux. Ce service administratif régional a un rôle très étendu : ses pouvoirs décisionnels et ses possibilités d’interventions sont innombrables et sa finalité est bien différente de ce que se doit d’être un service social. Le Jugendamt, partie prenante dans toutes les procédures familiales allemandes, veille à ce que les enfants grandissent en Allemagne.

Pour quelle raison ?

Parce que l’Etat allemand estime qu’un enfant, pour vivre bien, doit vivre en Allemagne. Cela implique très souvent qu’il perdra tout contact avec son parent et sa famille non-allemande. En cas de séparation, le Jugendamt devient très invasif et participe d’office à toute procédure impliquant un mineur, non pas en tant que conseiller du juge, mais en tant que partie prenante, au même titre que les parents, même si ceux-ci sont en pleine possession de leurs droits parentaux. En d’autres termes, en Allemagne, les enfants ont trois parents !

Le juge n’a pas le choix. Il est tenu de demander la participation du Jugendamt à la procédure et de lui demander son avis (§ 162 Loi sur les procédures familiales de libre juridiction, FamFG et § 50 du livre VIII du Code social allemand, SGB, Buch VIII).

Cet avis est contraignant pour le juge, puisque le Jugendamt peut interjeter appel de sa décision s’il n’a pas suivi ses recommandations. En effet, la loi reconnaît expressément au Jugendamt le droit de faire appel contre les décisions (Gegen die Beschlüsse steht dem Jugendamt ein eigenes Beschwerderecht zu), lui attribuant ainsi implicitement une fonction de pouvoir et de contrôle sur les juges aux affaires familiales.

Le « Verfahrensbeistand »

Un autre acteur juridique participe également aux procédures familiales allemandes. C’est le « Verfahrensbeistand », dont le nom est souvent mal traduit, soit par « curateur » soit par « avocat de l’enfant », précisément parce que cette entité n’existe pas dans les juridictions qui ne sont pas germaniques. En France, le curateur est nommé et prend part à la procédure dans le cas où les parents ont perdu la garde de l’enfant, alors qu’en Allemagne, il est également nommé lorsque les parents détiennent pleinement leurs droits parentaux. C’est pour cette raison que nous parlons ici d’une mauvaise traduction. L’autre traduction, « l’avocat de l’enfant », est également erronée, parce que si l’enfant, devenu adolescent, souhaite choisir son propre avocat, il n’est pas en droit de le faire.

En réalité, le Verfahrensbeistand est une autre entité étatique nommée par le tribunal, qui fonctionne généralement en accord avec le Jugendamt, en soutenant les mêmes arguments qui dans ce cas seront considérés – à tort – comme une expression de la volonté de l’enfant.

En cas de séparation sous juridiction allemande, la question « À qui revient la garde des enfants ? » est complètement inutile. Tôt ou tard, la garde sera attribuée au parent allemand (ou au parent qui décide de vivre en Allemagne) parce qu’il est celui qui peut le mieux garantir le « bien-être de l’enfant », bien-être qui correspond, comme on l’a vu, au fait de grandir en Allemagne, parler allemand, fréquenter une école allemande, penser en bon allemand. Tout cela a été récemment répété et même écrit lors d’une réunion des représentants des Länder à Berlin.

Dans ces conditions, la procédure devant le juge ne sert qu’à construire les arguments qui donnent à la décision déjà prise, une apparence légale, conforme aux droits fondamentaux et à tous les textes ratifiés par l’Allemagne, pour donner la garde au parent allemand ou résidant en Allemagne. Il va sans dire que pour le parent lésé, cela a tout d’une mascarade.

Pour les mêmes raisons, lorsqu’un des parents vit à l’étranger, il est très simple pour le parent allemand de supprimer dans les faits tout droit de visite de l’autre parent. Même en présence d’une décision qui prévoit un droit de visite à l’étranger (ce qui est rare), si le parent allemand ne la respecte pas, il n’y a aucun moyen de le forcer à le faire. En effet, garder des contacts avec une réalité non allemande ne correspond pas au bien-être de l’enfant.

A titre d’exemple, voici quelques cas réels qui tiennent de l’absurde. En Allemagne, pour le bien de l’enfant, il peut être décidé de modifier son état-civil, par exemple en germanisant son/ses prénoms ou, pire, en changeant son nom de famille. Mieux encore, en Allemagne, il peut être décidé qu’un enfant, toujours pour son bien-être ait à porter le patronyme du nouvel époux ou de la nouvelle épouse de son parent allemand.

On a pu lire récemment que « les enfants payent le prix fort lorsque les états membres ne réussissent pas à coopérer et protéger leurs intérêts dans des procédures légales comme des conflits transfrontaliers pour la garde parentale ». C’est en ces termes que les députés européens ont voté fins avril 2016 une résolution non contraignante. Belle initiative et tout à fait inutile ! De fait même si à priori l’Allemagne respecte les conventions et les règlements, sa conception du bien-être de l’enfant est complètement différente de celles des autres pays européens. Dans ce cas toute coopération ou procédure légale vivement conseillée ne sera pas pour autant appliquée, dans la mesure où il peut être considéré comme bénéfique pour l’enfant de perdre sa mère ou son père si il ou elle n’est pas allemand(e) ou si cela garantit qu’il vivra en Allemagne.

Il est à rappeler que dès 1995 ces questions ont été posées aussi bien à l’Assemblée Nationale qu’au Sénat.

Hélas, à ce jour, que ce soit pour les enfants ou les parents, aucune solution, restriction ou loi n’a pu être votée et imposée à l’Allemagne. Depuis plus de 20 ans ces injustices qui détruisent des familles perdurent et sont consciemment ignorées par nos autorités. En effet, selon le Quai d’Orsay, seule une petite quinzaine de cas semblent exister, bien qu’en 2015, Pierre-Yves Le Borgn’, Député des français de l’étranger, estimait avoir connaissance de centaines de cas. Alors quelles solutions pour ces drames humains qui se produisent sous nos yeux, en Europe ? Quels seront les politiques qui voudront enfin s’investir pour cette cause perdue ?