Article de Jérôme Rivet, paru le 01/07/2015 dans La Dépêche
En avril dernier, après quatre années d’un bras de fer juridique entre France et Allemagne, la petite Isabelle Soukiassyan retrouvait les bras de son père Aremn à Albi. Jocelyne Courtois, fidèle amie de la famille Soukiassya, a voulu parler à La Dépêche du Midi de l’association « Enfants Otages » qu’elle a rejoint et des possibilités offertes par le retour d’Isabelle pour les milliers d’autres enfants binationaux toujours retenus illicitement en Allemagne.
Jocelyne Courtois, parlez-nous « d’Enfants Otages » ?
Cette association, dont le siège est à Rouen, est présidée par Alain Joly. Elle regroupe des parents souvent privés de leurs enfants depuis plusieurs années, retenus en Allemagne et qui ont choisi de se rassembler pour défendre l’intérêt supérieur des enfants et préserver leurs droits fondamentaux dans l’Union européenne.
Vous êtes devenue la secrétaire de l’association ?
Pendant quatre ans, j’ai aidé mon ami Armen Soukiassyan à récupérer sa petite Isabelle qui avait été enlevée par sa mère qui a fui l’Allemagne. À son retour en avril dernier, j’ai pris contact avec cette association pour aller plus loin.
Pourquoi ?
Parce que nous avons tous compris que nous devions nous battre contre un système bien organisé, un mécanisme juridique bien huilé dont la seule finalité est d’enlever les enfants binationaux lors de la séparation de couples mixtes au profit de celui des deux parents, qu’il soit père ou mère, qui offre la meilleure garantie que l’enfant restera sur le sol allemand et qui permettra une germanisation.
Concrètement, comment ce système se matérialise-t-il ?
Lorsque cette mécanique se met en fonctionnement, c’est-à-dire que la justice et les services de l’administration en charge des affaires familiales allemandes ont connaissance d’une telle situation, dans tous les cas ou presque comme celui d’Isabelle Soukiassyan, le parent non allemand est progressivement écarté de son ou ses enfants qui ne pourront plus quitter le territoire allemand.
N’est pas exagéré de sous-entendre que l’objectif du système allemand est sous une « apparente légalité » d’enlever les enfants binationaux ?
Non, dans les cas de séparation de couples binationaux dont l’un des parents est allemand, c’est toujours le parent allemand qui obtient la garde des enfants. Même lorsque les enfants enlevés vers l’Allemagne ne sont pas nés et n’ont pas vécu en Allemagne, que le tribunal compétent est le tribunal du pays de résidence de l’enfant avant l’enlèvement, le système allemand va tout mettre en œuvre pour que le tribunal allemand devienne compétent pour traiter l’affaire et empêcher le retour de l’enfant dans son pays d’origine.
C’est précisément le cas d’Isabelle Soukiassya ?
Oui, le tribunal allemand de Hamm a tenté de détourner la finalité du droit européen applicable dans cette situation pour rendre l’enlèvement et la résidence en Allemagne d’Isabelle légaux. Il n’a pas immédiatement renvoyé Isabelle chez son père en France comme le prévoit le règlement « Bruxelles II ». Pour cela, tout en affirmant à son père que la mère avait bien enlevé l’enfant, la justice allemande a profité de la méconnaissance de la langue de Goethe d’Armen et du système scolaire allemand. Ils ont attribué le droit de garde à Armen Soukiassyan tout en fixant des droits de visite à la mère qui ont permis de scolariser Isabelle en Allemagne. Plus le temps a passé et plus la justice allemande évoquait une parfaite intégration de la fillette en Allemagne et un possible traumatisme en cas de retour en France.
Est-ce le cas depuis avril ?
En aucun cas. Isabelle parle à nouveau français. Elle a retrouvé une scolarité normale à l‘école Parmentier. Elle est heureuse avec son père et ce dernier revit à ses côtés. La petite peut parler via Skype à sa mère. Tout se passe très bien.
Mais pourquoi tout le monde laisserait faire ce système sans bouger ?
Là, je ne sais pas. J’imagine simplement qu’on a peur de mettre nos « amis » allemands en colère. C’est d’ailleurs ce que nous a fait comprendre le consulat de France en Allemagne. Malheureusement, dans ces histoires d’enlèvements d’enfants qui relèvent plus de la politique que de la justice, ce sont des milliers de vies familiales brisées.
Avec « Enfants Otages », d’autres enfants pourraient espérer recouvrer la liberté après Isabelle ?
Contrairement à ce que l’on peut penser, l’intérêt supérieur de l’enfant n’est pas seulement menacé dans les pays tiers de l’Union européenne. L’association est aujourd’hui essentiellement franco-italienne mais « Enfants otages » a déjà eu à venir à venir en aide à des parents espagnols et polonais.
Qui vous aide ? Comment fonctionnez-vous financièrement ?
Aujourd’hui, de plus en plus de personnes sensibles à notre cause nous aident activement ou financièrement. Nous avons également le plaisir de compter maintenant dans nos rangs André Bamberski (lire ci-contre). Son vécu et son expérience du système judiciaire nous seront très utiles.
Quels sont les besoins spécifiques de l’association dans l’immédiat ?
Nous avons particulièrement besoin de spécialistes du droit européen, du droit familial, du droit international, de traducteurs et/ou d’interprètes, de psychologues pour permettre à d’autres Isabelle de retrouver leurs parents.
Bamberski en soutien
Cet homme a lutté pendant plus de trente ans pour faire juger le responsable du décès de sa fille, Kalinka, retrouvée morte en 1982 alors qu’elle n’avait que 13 ans.
Les soupçons du père se sont toujours portés sur Dieter Krombach, le beau-père de Kalinka. Le Toulousain a fini par faire enlever le médecin allemand en 2009 pour qu’il soit jugé en France. Dieter Krombach a été condamné définitivement à 15 ans de réclusion en 2014.
Et André Bamberski a un an de prison avec sursis pour l’épisode de l’enlèvement.