Enquête : comment l’Allemagne a pris nos enfants

Article du Dr. Marinella Colombo paru en Italie dans Millennium, octobre 2020.

Sous le 3ème Reich, sous l’Allemagne nazie, le chef des SS Heinrich Himmler restructure le système qui s’occupe des mineurs et en fait une administration pour les jeunes : le Jugendamt, une entité politique pour le contrôle de la famille qui encore aujourd’hui exerce ses pleins pouvoirs sur les mineurs. Le rôle de cette entité qui s’autodéfinit sous le nom de Bureau d’Etat de Surveillance est celui de contrôler l’obligation des parents à éduquer les enfants. Mais à la différence de l’Italie, où les assistants sociaux, avec leurs relations, peuvent influencer la décision du juge, en Allemagne le Jugendamt est en partie prenante dans les procédures : il a le pouvoir de donner son avis au juge et peut faire appel des décisions émises par le tribunal pour les mineurs. Une autre différence pas moins significative est que les assistants sociaux italiens ne sont pas toujours impliqués dans les procédures de séparation, par exemple dans les consensuels, le Jugendamt, en revanche, intervient d’office et est donc toujours présent.

Ces pouvoirs créent des problèmes aux parents qui vivent en Allemagne qu’ils soient allemands, étrangers ou couples mixtes. A la Commission des Pétition du Parlement européen, arrivent des centaines de plaintes ou signalisations de pères et de mère qui se sont vus retirer la garde des enfants sans possibilité de se défendre de manière loyale.

Richard Moritz, dans son livre « La honte allemande », dénonce : « Il y a un vrai business qui produit un chiffre d’affaires de plus de 400 milliards d’euros par an provenant directement de l’Etat et plus de cent milliards d’euros induits. Un enfant enlevé de sa famille et placé dans un foyer, quand il en sort à 18 ans, aura créé une facture de quasi un million d’euro. »

Le parlement européen submergé par les demandes d’aide des parents qui ont eu affaire à ces institutions a ouvert plusieurs groupes de travail pour chercher à régler ce problème. Le 29 novembre 2018 ils ont émis la résolution 2856 ou l’on peut lire : le parlement retient avec une grande préoccupation que les problèmes qui concernent le système du droit de famille allemand ainsi que le rôle controversé du Jugendamt reste jusqu’à présent non résolu et souligne que la Commission des Pétitions reçoit continuellement des pétitions de parents non allemands où sont signalées de graves discriminations”. Parce que dans les familles ou l’un des parents est étranger, on peut encore lire “ la protection de l’intérêt supérieur du mineur est systématiquement interprété par les autorités allemandes compétentes avec la nécessité de garantir que les mineurs restent sur le territoire allemand.

Accusés en Europe

Le Jugendamt avait déjà précédemment fourni son point de vue au Parlement européen le 10 novembre 2016. Durant cet événement, Reiner Hoffman du Jugendamt de Berlin a parlé devant certains parents et enfants ainsi : “Clairement je me trouve dans une situation difficile car nous avons reçu beaucoup de critiques et de reproches “. puis il a ajouté : “ Nous donnons notre aide aux mineurs enfants et parents. Le Jugendamt s’occupe de tuteler l’intérêt des mineurs sans entrer dans le cadre de l’éducation mais seulement dans la sauvegarde de leur sécurité ». Sont passées des années depuis ces paroles mais on dirait que rien n’a changé. Nous avons appelé souvent le Jugendamt pour avoir des clarifications, nos questions étaient simples : Votre position de 2016 a-t-elle évolué aujourd’hui ? Que s’est-il passé suite aux critiques et aux accusations de 2018 ? Il semblerait cependant que personne n’ait envie d’en parler : entre un « Nous ne parlons pas anglais » et un « Nous n’avons pas l’autorisation de vous donner ces informations », il ne nous reste plus qu’à croiser les doigts pour tous ces parents qui encore aujourd’hui, espèrent recevoir une décision juste et équitable pour retrouver leurs enfants.

Le 3eme parent

Il est important de souligner qu’au tribunal outre le père et la mère, il y a aussi le Jugendamt qui, en tant que partie prenante, a le rôle de 3ème parent. Son rôle est de garantir le Kindeswohl qui veut dire le bien-être de l’enfant, comme inscrit dans la loi, les traités et conventions internationales.

Comme explique Marinella Colombo qui a vécu ce mécanisme et qui nous raconte dans ses livres “Je ne vous laisserai pas seuls » et « La tutelle au-delà de la frontière”, comme il s’agit d’un concept juridique pas bien défini, dans le cas d’un couple mixte, ce bien coïncide souvent avec la garde du mineur au parent allemand ou à qui garantit la permanence sur le territoire allemand et assure une éducation teutonique. Il est important de tenir compte que le Jugendamt procède sur une base de principes fondamentaux : les enfants sont un patrimoine de la communauté et de l’Etat. Et ce principe semble passer devant toute autre considération. Dans la résolution numéro 2018/2856, le Parlement européen met en garde les institutions allemandes car ” l’enfant reste en Allemagne même dans les cas ou ont été signalées des violences conjugales, contre les parents non allemands”. On parle de parents violents, alcooliques et peut être qui ne montrent aucun intérêt pour le mineur.

Exactement ce qui est arrivé à Alessio, fils d’un père allemand et d’une mère italienne. La maman, victime de maltraitance, en plus des preuves de ses séjours à l’hôpital avec constats de contusions du crâne, fractures nasales, égratignures des mains, s’est vue arracher son enfant âgé

de quelques mois en faveur du père violent. Même le père a déclaré avoir été agressé mais sans pouvoir produire des preuves. Enlever un enfant à une maman durant les premiers mois de sa vie viole entre autre « le droit à l’allaitement » amplement garanti par la Convention ONU sur les droits de l’enfance et de l’adolescence.

La procédure sur le droit de garde a duré plus de 2 ans, pendant lequel Alessio a vécu avec le père allemand et, confirmant la tendance de vouloir faire rester les enfants en Allemagne, la psychologue qui avait la tâche d’évaluer ce cas écrivait « Il faut s’attendre à ce que la maman déménage en Italie avec Alessio si on lui confie la garde. On arracherait l’enfant de son environnement social et on rendrait quasi impossible le contact avec le père, son actuel et principal caregiver ». En réalité, la maman demandait la garde partagée et donc elle n’aurait pas pu s’en aller. D’après la psychologue, il n’y a qu’une chose à faire : “ De mon point de vue d’experte, il faut établir que continuer à vivre dans le futur avec le papa correspond au bien de l’enfant. Alessio a démontré dans de brefs moments un comportement typique d’attachement envers le père. Cela n’a pas été observé lors des interactions avec la maman. »

L’obligation du rapatriement

Ce qui nous choque de cette relation est que la psychologue en tant qu’experte ne semble tenir absolument aucun compte qu’Alessio n’a pas vu sa mère pendant 2 ans et donc cela pourrait sembler normal qu’il ne démontre aucun attachement envers elle. Mais le tribunal, qui suit les mêmes principes du Jugendamt a utilisé cette affirmation pour conférer définitivement la garde au père qui, même étant un maltraitant, garantissait sa permanence en Allemagne et une éducation allemande. Au jour d’aujourd’hui le père a les pleins pouvoirs de décider avec qui et où passe le temps son enfant et peut donc aussi choisir – comme il l’a bien fait – d’empêcher la mère de passer quelques jours de vacances avec lui.

Mais des histoires comme celle-ci malheureusement il y en a beaucoup. Comme celle de la déjà citée Marinella Colombo. Voici ce qu’elle nous raconte : « Mes 2 enfants ont été maltraités en Allemagne sur la base d’une traduction falsifiée sans jamais être écoutés, sans jamais tenir en compte leur volonté de rester en Italie”. Elle-même est passée de victime à coupable, condamnée et emprisonnée. Cette affaire va être bientôt accessible à un large public grâce à la sortie d’un film tiré de son premier livre.

Il existe un mécanisme qui se répète dans beaucoup d’histoires que nous avons entendues et lues : quand un parent non-allemand emmène les enfants dans son pays, dans certains cas même seulement pour les vacances, en 24-48 heures, il se peut qu’un mandat d’arrêt soit émis contre lui avec un décret de rapatriement du mineur. Ainsi sans preuve, simplement tout en affirmant que l’enfant pourrait être en danger, on confère au parent allemand le droit exclusif de déterminer la résidence. Et comme l’explique Mme Dr. Colombo : « à ce stade, avec la procédure pénale en cours et l’arrestation de la part des forces de police du pays étranger, le juge allemand qui a en mains toutes les cartes peut tranquillement décider d’enlever la garde de l’enfant au parent non allemand. »

Tout ça indépendamment de l’arrêt du 15 juillet 2010 dans lequel la Cour de Justice européenne dans la procédure C-256/09 le réaffirme, comme indiqué par l’article 16 de la Convention Aja de 1980. L’arrêt de la Cour de Justice européenne écrit clairement que ces décisions prononcées après l’éventuel transfert ne peuvent justifier une demande de rapatriement. Souvent par contre les tribunaux de toute l’Europe ignorent cet arrêt et la jurisprudence en matière, et ordonnent quasi systématiquement le rapatriement de l’enfant en Allemagne. Le parent étranger qui à ce point ne peut plus voir l’enfant qu’en de brefs moments et sous surveillance, est contraint à payer une pension, non pas par rapport à ses revenus mais en référence au tableau allemand. Un impayé peut engendrer une saisie surtout en Italie où les parents italiens sont souvent propriétaire d’un bien immobilier et risquent de perdre l’appartement dans lequel ils habitent pour envoyer l’argent en Allemagne.

Cela peut être pire encore. Après 18 mois sans aucune nouvelle de ses 2 enfants dont la garde avait été attribuée à la mère allemande, Patrick, père français, a arrêté de payer la pension et s’est vu envoyer un mandat d’arrêt international et a été extradé. Patrick se rappelle la situation ainsi ”Je savais que mon ex-femme avait une bonne situation économique et je n’aurais mis personne en difficulté mais quand j’ai arrêté de payer car je ne savais plus rien de mes enfants, le Jugendamt m’a dit : ”Tant que vous ne recevez pas un acte de décès, vous devez payer. »

En réalité après la séparation de 2006, Patrick avait le droit de passer avec ses enfants 8 heures tous les 15 jours. Mais un beau jour la mère a décidé de ne plus les lui remettre, raconte-t’il désespéré.

“ Sont passe 9 ans 11 mois et 4 jours la dernière fois où je les ai vus, c’était le 10 octobre 2010, Angelina avait 8 ans et Pierre 7 ans. Je me rappelle bien de ce jour. Mon ex-femme avec qui la situation n’allait pas du tout, m’avait donné rendez-vous dans une rue un peu bizarre. Je suis arrivé en voiture, les enfants souriaient heureux. J’ai ensuite entendu arriver la police. Les agents une fois descendus de la voiture, m’ont dit : « Va-t’en de ce pays » devant mes enfants, vous comprenez… » En retenant ses larmes, Patrick conclut : « Le dernier au-revoir fût avec eux qui me regardaient ébahis sans comprendre ce qui était en train de se passer. »

L’histoire de Kerem

Il y a des histoires comme celle de Kerem, père d’origine turque qui semble confirmer les mots de Moritz :

« Il y a un vrai business qui produit plus de 40 milliards d’euros par an ». Nous sommes en mai 1999 quand Kerem découvre que son ex compagne attend un autre enfant de lui. La mère ne voulait pas reconnaitre l’enfant, Kerem décide avec son accord que quand il naitra il le gardera avec lui et le l’élèvera tout seul. Mais la femme disparait après l’accouchement, avec l’aide du Jugendamt. L’enfant est confié, pour adoption, à un couple d’allemands. Quand Kerem, 3 mois après, réussit à retrouver la trace du nouveau-né, il fait immédiatement une demande de reconnaissance de paternité. Il devra attendre un an et demi et un test d’ADN pour qu’on le reconnait comme le père de l’enfant. A ce moment le tribunal allemand l’autorise à lui rendre visite chez la famille adoptive ; les visites devront être de plus en plus longues et plus fréquentes. Le Jugendamt, selon Kerem, ralentit et met des obstacles aux visites jusqu’à les bloquer grâce à un recours que le Jugendamt présente à la Cour d’Appel. Après un long et tortueux parcours juridique, en octobre 2003, on empêche à Kerem de reconnaitre et d’adopter son fils et de le rencontrer. Le paradoxe est que les juges et les experts, dans leurs échanges, avaient affirmé qu’il est un excellent père en bon rapport avec son fils. En 2004 la Cour européenne des droits de l’Homme de Strasbourg se prononce sur cette affaire et condamne l’Allemagne pour violation des droits de l’enfant. Malheureusement l’affaire ne se conclut pas comme ça ; la Cour d’Appel allemande bloque la sentence pour motifs procéduraux. Kerem fait appel pour le non-respect de la décision de Strasbourg mais il n’obtient qu’une indemnisation économique. Il n’a jamais pu revoir ou embrasser son fils.

Chaque année en Allemagne, le Jugendamt, raconte Mme Dr. Colombo, enlève aux parents plus de 50 000 enfants d’après les données de Destatis le Bureau Fédéral de statistiques allemand. Nous parlons de 550 000 dans les 10 dernières années. La plus grande partie ne rentre pas dans la famille naturelle, ces enfants sont placés chez d’autres familles ou restent dans un foyer jusqu’à leur 18 ans. 72% des enfants a au moins un parent étranger, et donc dans beaucoup de cas italiens. Ceci a été confirmé aussi par le parlementaire européen polonais Zdzislaw Krasnodebsky dans une conférence tenue au Parlement européen le 29 mai 2018.

Des données bouleversantes qui font réfléchir. Et si d’une part le Parlement européen avec la résolution du 29 novembre 2018 “rappelle à l’Allemagne ses obligations internationales prévues par la Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfance”, de l’autre, on se demande pourquoi encore aujourd’hui autant de parents privés de leurs enfants italiens et non-allemands n’arrivent pas à faire valoir leurs droits face à cette puissante administration allemande.